Le Lys Et La Pourpre
de départir, il voulut « fortifier son
Conseil » en remplaçant deux ministres, l’intendant des Finances,
Champigny, en raison de son caractère difficile, et le chancelier d’Aligre
parce qu’il avait paru désavouer l’arrestation du maréchal d’Ornano.
Richelieu ne cacha pas qu’il n’était pas favorable à ces
remaniements, arguant qu’il ne les trouvait pas opportuns. En fait, sa vraie
raison était tout autre. Il savait que le roi – peut-être sur la
recommandation de sa mère – voulait remplacer d’Aligre par Marillac. Or,
Marillac était un ancien ligueur, catholique à gros grain, papiste fervent et
un des chefs du parti dévot. Mais il était aussi, comme Richelieu lui-même, une
créature de Marie de Médicis. Il n’était donc pas possible pour le cardinal de
s’opposer à sa nomination sans grandement offenser la reine-mère. Richelieu fit
donc de Marillac un très grand éloge – que d’ailleurs Marillac méritait
par ses talents et sa probité – mais s’en tint néanmoins à sa thèse
première : ce remaniement ne s’imposait pas. Cette obstination dont il
n’entendait pas la vraie raison irrita Louis et il trancha non sans
sécheresse :
— Il y a longtemps que je vous ai dit qu’il fallait
fortifier mon Conseil. C’est vous qui avez toujours reculé par crainte des changements,
mais il n’est plus temps de s’amuser à tout ce qu’on dira.
Et Louis conclut d’un ton tranchant :
— C’est assez que c’est moi qui le veuille !
Cette petite rebuffade blessa Richelieu au plus vif :
le roi avait pris seul la décision de courre sus aux Vendôme. Il lui avait
caché ce qu’il voulait faire d’eux. Et seul encore il remaniait son Conseil,
sans tenir compte de ses avis. Le lendemain, après une nuit sans sommeil, le
cardinal demanda à Louis la permission, qui lui fut aussitôt accordée, de se
retirer en son château de Limours pour se soigner. À peine arrivé chez le roi
le cardinal écrivit pour lui offrir sa démission, et ce qu’il advint de cette
démission, je le dirai plus loin, tant de choses de grande conséquence s’étant
passées entre le moment où Richelieu écrivit cette lettre et celui où Louis
trouva le temps d’y répondre.
J’eusse bien voulu moi aussi, comme le cardinal, me retirer
alors en mon domaine d’Orbieu, non que je fusse comme lui mal allant et blessé
au vif, mais depuis mon département de Paris, j’avais pâti de tant de tracas,
d’écornes et de pointillés, que j’eusse voulu, en ce brûlant printemps, goûter
le frais de mes champs, sans compter le plaisir de revoir Monsieur de
Peyrolles, Saint-Clair, son aimable épouse, le curé Séraphin, sa gentille
servante, le fidèle Hans et pour la citer en dernier, bien qu’elle ne fut pas
la moindre, en mes pensées, Louison dont les tendres bras me manquaient fort en
mes guerrières tribulations.
Mais je n’osais même pas demander mon congé au roi, ni lui
adresser à ce sujet le quart de la moitié d’un mot, tant il avait le visage
fermé, farouche, le front sourcillant et la bouche cousue. Le premier juin au
matin, comme je pénétrais dans sa chambre, il me dit :
— D’Orbieu, préparez-vous. Nous partons demain pour un
long voyage.
— Mais Sire, je n’ai plus de carrosse. Mon père l’a
ramené en Paris pour le faire réparer.
— Il n’importe, dit-il. Je vous prendrai dans le mien.
C’était un très grand honneur et j’eusse voulu le remercier,
mais je n’en eus pas le temps. Déjà il me tournait le dos pour régler, avec le
maréchal de Schomberg, la marche, le ravitaillement et les étapes de l’armée
qui le devait suivre.
Pour moi, je regagnai L’Autruche la mort dans l’âme,
pour y faire mes paquets mais à vrai dire, pas plus que mon père, je n’aimais
ces interminables voyages de la Cour, à travers les immensités du royaume de
France, les routes défoncées, les nuages de poussière étouffante l’été, en
hiver les boues où les roues s’embourbaient, les guets réputés faciles, mais
qu’un déluge de pluie, à la dernière minute, avait rendus infranchissables, les
bacs dont le passeur était allé dîner, nous laissant deux bonnes heures en
plan, les ponts de bois qui s’écroulaient sous le poids de tant de charrois,
les bateaux qui s’engravaient dans les sables de la rivière de Loire, les
essieux des carrosses soumis à tant de secousses qu’ils se rompaient quasi
quotidiennement, les chevaux qu’il
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