Le Lys Et La Pourpre
Candisse. »
— Monsieur, vous avez, comme vous dites, rempli votre
contrat. Cependant, si l’on met de côté votre admiration pour les yeux bleus de
Madame de Candisse, ses cheveux dénoués et sa camisole de nuit, vous aimez peu
la dame.
— En effet.
— Parce qu’elle est dévote ?
— Madame, je ne voudrais pas qu’il y ait en cet
entretien la moindre confusion. Il y a deux espèces bien distinctes de dévots
et celle à laquelle appartient Madame de Candisse me ragoûte fort peu.
— Et l’autre espèce de dévots ?
— Est la bonne. J’en voudrais prendre pour exemple
Monsieur de Schomberg lui-même. Il est pieux, mais sa piété n’a rien
d’ostentatoire. Elle ne se donne pas non plus pour but son avancement et son
intérêt. En revanche, elle inspire ses conduites. Schomberg est un homme
véritablement vertueux. Et surtout, belle lectrice, bien que Monsieur de
Schomberg ait adhéré plus tard à la Compagnie du Saint-Sacrement, il n’a jamais
été membre, de cœur ou de fait, du parti dévot.
— En 1624, Monsieur, y avait-il déjà un parti
dévot ?
— Oh ! Madame ! Il n’en faut pas douter, bien
qu’il n’ait pas encore donné de la voix. Et il y avait belle heurette qu’il
existait ! Il avait été fondé à la fin du siècle qui précède le nôtre sous
le nom de « Sainte Ligue », par le duc de Guise. Remarquez, je vous
prie, l’adjectif de « sainte » que la Ligue s’accola effrontément à
elle-même. Sa sainteté, en fait, éclata étrangement dans le but qu’elle se
proposait : éradiquer les protestants par le fer et le feu. Dans cette
perspective, c’était crime de soutenir, comme Henri III, que faute d’un
dauphin, c’était le protestant Henri de Navarre, héritier légitime, qui devait
lui succéder. Crime qu’Henri III paya de sa vie. C’était crime aussi de
s’allier, comme Henri IV, en 1610, avec les princes protestants d’Allemagne
contre les Habsbourg, lesquels se posaient comme les champions de la
Contre-Réforme en Europe. Et ce crime, Henri IV le paya aussi de sa vie.
— Mais, Monsieur, Jacques Clément, Ravaillac…
— Oh, Madame ! Ces gens-là ne sont rien ! Des
fanatiques aveugles, que des mains habiles dans l’ombre ont remontés comme des
horloges. Et ces mains ne seraient rien non plus sans d’agiles cervelles de
théologiens qui affirmèrent que le pape a le pouvoir de défaire les rois et
qu’il est licite aux sujets d’un roi de le tuer, s’il devient un
« tyran ». Et qui va décider, à votre avis, qu’il est devenu
tel ?… C’est pourquoi, Madame, nous avons commencé à trembler quand des
libelles, inspirés par les Habsbourg, mais répandus en France par le parti dévot,
ont traité Louis de « tyran » et de « Scythe », parce qu’il
avait affronté le pape sur la question de la Valteline.
— Qui sont ces « nous » qui ont commencé à
trembler ?
— Nous, belle lectrice, nous, les véritables Français…
— Monsieur, permettez que je vous tabuste un peu !
N’est-ce pas effronté pour d’aucuns Français de se désigner comme les seuls qui
puissent véridiquement se dire tels ?
— L’expression, Madame, serait effrontée, si elle
n’était pas sortie de la bouche de celui que la fortune a chargé de veiller aux
intérêts de la France : le roi.
— Le roi ?
— Le roi même. Quand l’affaire Santarel (laquelle,
pardonnez-moi, je ne veux, faute de temps, vous conter) posa la sempiternelle
question des pouvoirs respectifs du pape et du roi, les évêques français, ayant
confabulé, prirent parti pour le pape. Cette attitude rebroussa fort Louis qui
les fit venir au Louvre et les tança vertement en ces termes : « Vous
autres, Messieurs du Clergé, vous ne savez donc pas parler en véritables
Français ! » Louis n’ignorait point qu’après la Valteline, il allait
avoir affaire en France aux mêmes adversaires qui s’étaient dressés contre son
père, quand il se liguait avec les princes protestants d’Allemagne contre l’Espagne.
— Monsieur, qu’est-ce donc que cette Valteline dont
vous parlez toujours ?… Mais qu’est cela, Monsieur, vous paraissez tout
soudain réticent ? Mes questions vous lassent-elles ?
— C’est moi qui redoute de vous lasser, Madame. C’est
une tâche difficile d’instruire les honnêtes gens en les divertissant. Et
chaque fois que je quitte le ton et le tour romanesques pour peser avec vous
les graves
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