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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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enjeux historiques du règne, je redoute toujours de vous ennuyer.
    — Monsieur, que me dites-vous là ? Ai-je donc,
parce que je suis femme, la cervelle si légère que je ne puisse m’intéresser
qu’aux historiettes de l’Histoire, laissant à ceux qui ont poil au menton le
soin d’entendre les questions de grande conséquence ? Parce que j’ai le
cheveu long, me doit-on soupçonner d’avoir les idées courtes ? Parce que
ma taille est flexible, faut-il que mon attention fléchisse, elle aussi, au
bout de quelques pages ? De ce que mon corps est doux et délicat,
s’ensuit-il que mon esprit est fruste ?
    — Fi donc, Madame ! Je n’ai jamais professé ces
sottardes idées sur les femmes ! Mais la question de la Valteline est tout
du même fort compliquée…
    — Ne craignez rien, Monsieur, et dites-m’en votre
râtelée, sans tant languir. Je verrai bien moi-même, si je suis trop
coquefredouille pour la bien entendre…
    — Madame, vous l’aurez donc voulu ! La Valteline
est un passage dans les Alpes italiennes.
    — C’est tout ?
    — C’est le passage le plus facile et qui demande le
moins de temps pour être franchi.
    — Le moins de temps pour qui ?
    — Pour les Habsbourg d’Espagne, Madame, et les
Habsbourg d’Allemagne.
    — Que vient faire ici l’Espagne ?
    — Elle occupe, entre autres possessions en Italie,
Milan et le Milanais. La Valteline est donc le pont qui permet de réunir
promptement les deux têtes de l’aigle : la tête espagnole et la tête
autrichienne. Écoutez, Madame, Richelieu : « Grâce à la Valteline,
les Habsbourg peuvent faire passer une armée de Milan à Vienne en dix jours et
de Milan en Flandres en quinze jours. »
    — Pourquoi en Flandres, Monsieur ?
    — Parce que ces Habsbourg occupent aussi les Flandres.
    — Mais en quoi la Valteline concerne-t-elle la
France ?
    — La France se trouve être encerclée ou, comme dit
Richelieu, « enclose » par les Habsbourg. Ils peuvent, Madame,
pénétrer sur son territoire au nord par les Flandres, à l’est par le Palatinat,
au sud-est par le Milanais, au sud-ouest par les Pyrénées. Et dans la
perspective d’une guerre avec les Habsbourg qu’Henri IV et après lui
Louis XIII jugent inévitable, il était aussi important pour l’aigle à deux
têtes des Habsbourg de posséder la Valteline que pour la France de l’empêcher
qu’il la possédât.
    — Mais, à qui donc, Monsieur, appartient la
Valteline ?
    — Aux Grisons.
    — Qui sont ces Grisons et qu’ont-ils de si gris ?
    — Ils sont suisses et on les appelle Grisons, parce
qu’ils portent en leurs armes une bande grise.
    — Des Suisses catholiques ou des Suisses
protestants ?
    — Protestants.
    — Aïe !
    — Vous avez raison de dire « aïe ! »,
Madame, car si les Grisons sont huguenots, les Valtelins – les habitants
de la vallée – sont catholiques, les seconds étant les vassaux des
premiers. Ce qui est source de conflits innumérables dont les Habsbourg
tirèrent prétexte pour envahir la Valteline en juillet 1624 et consolider leur
conquête en bâtissant quatre forts défendus par des fantassins espagnols –
les meilleurs du monde, disait Henri IV. Le moment était fort bien choisi.
Louis avait une guerre civile sur les bras : pour la deuxième fois, sa
mère, soutenue par les Grands, lui avait déclaré la guerre. Toutefois, il envoya
un négociateur en Espagne, Bassompierre, lequel montra fermeté et ténacité et,
par le traité de Madrid, l’Espagne s’engagea à rendre la Valteline aux Grisons
et à démanteler les forts qu’elle avait construits.
    — Tout est donc pour le mieux ?
    — Non, Madame, tout est pour le pis. Rien n’est résolu,
car le traité de Madrid est un de ces traités qu’une des deux parties –
vous devinez laquelle – signe avec la ferme résolution de ne jamais
l’appliquer. Les forts restèrent donc debout, à tout le moins le temps que
Louis fut occupé à réduire, après la rébellion de sa mère, celle des huguenots
français, mais les choses changèrent quand la paix – une paix
précaire – étant à la parfin signée avec lesdits huguenots, Louis forma
une ligue avec la Savoie et Venise pour reprendre la Valteline. L’Espagne,
alors, s’alarma et se hâta de bailler en dépôt au Saint-Siège les forts de la
Valteline. Le pape accepta ce deposito et les troupes pontificales
allèrent relever sur place les troupes espagnoles.

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