Le Lys Et La Pourpre
ne
faillaient pas de sévir sur la côte océane. J’admirai, en revanche, que le fort
fut construit sur le roc, ce qui rendait impossibles les sapes d’un assiégeant.
Et ce qui ne laissa pas enfin de m’émerveiller fut que Toiras eût en l’idée de
construire, côté mer, deux hautes murailles à dextre et à senestre de la
citadelle, lesquelles formaient une sorte de canal abrité aux vaisseaux amis
pour débarquer hommes et vivres en cas de besoin sur la plage [75] . Ces murailles, hautes de quatre
toises, étaient crénelées et comportaient à l’intérieur un escalier et un
chemin de ronde afin que les assiégés pussent arrêter les assiégeants par le
feu nourri des mousquetades. Il fallait d’évidence de la promptitude et de la
discipline et de la vaillance pour bien garnir ces créneaux, mais les troupes
de Toiras ne faillaient pas en ces vertus, comportant de très bonnes unités
dont la meilleure était sans contredit le régiment de Champagne qui s’était
illustré en tant de combats hasardeux.
Le lecteur jugera sans doute par cette description que je
n’étais pas tant ignorant de la guerre que je l’avais dit, mais comment
aurais-je pu l’être, ayant suivi Louis en toutes ses campagnes et l’ayant ouï
en ses enfances m’expliquer le comment et le pourquoi des citadelles de terre
qu’il construisait selon les principes les plus rigoureux de l’architecture
militaire.
Moments que je me ramentois toujours avec tendresse, parce
que l’enfant taciturne qu’il était alors devenait, en ces occasions, tout
soudain éloquent et chaleureux pour me communiquer son savoir.
Toiras, la Dieu merci, me logea avec Nicolas, Hörner, son
chien Zeus et ma garde prétorienne dans une maison qui, elle, avait un toit et
à laquelle, deux jours plus tard, mes bons Suisses ajoutèrent des gouttières
qu’ils avaient enlevées à une maison en ruine dans le village de Saint-Martin
afin de recueillir l’eau de pluie dans un tonneau. Hörner m’expliqua qu’avec
deux puits seulement, l’un intra-muros, l’autre extra-muros, il était à
craindre qu’en cas de siège, on ne puisse abreuver à leur suffisance chevaux et
garnison.
À cette occasion, Hörner me découvrit une vérité que je ne
manquai pas, dans la suite, de vérifier. Le métier du soldat ne consiste pas
seulement à se battre, mais à s’assurer toutes les commodités possibles dans
les dents mêmes des périls qu’il affronte. C’est une bien étrange chose, quand on
y pense. Si un soldat est bien payé, bien nourri, bien vêtu, bien logé et bien
traité par ses chefs, loin que ce traitement l’attache davantage à la vie, il
le poussera tout le rebours à la hasarder plus volontiers quand sonnera l’heure
de se battre…
Dès le lendemain, Toiras, à ma prière, me donna un guide
pour visiter l’île de Ré en me conseillant de partir à potron-minet, car l’île
ayant sept lieues de long, il me faudrait parcourir quatorze lieues en un jour
pour revenir à notre point de départ. Ce qui était prou, même pour les bons
chevaux dont je disposais pour moi-même et pour mon escorte. Le guide, un des
écuyers de Toiras, portait un nom qui l’eût prédisposé à la piété, si un nom
avait ce pouvoir. Il s’appelait Monsieur de Bellecroix, originaire de l’île de
Ré et protestant des plus tièdes, n’ayant cure des querelles entre temples et
églises et ne voulant servir que le roi. Il n’était d’ailleurs pas le seul
protestant dans l’armée de Toiras que l’alliance des Rochelais avec l’Anglais
ragoûtait peu. Bellecroix disait de ces fanatiques qu’ils aspiraient à un joug
au nom de la liberté. Il les appelait, pour se gausser, « les nouveaux
bourgeois de Calais ».
Hörner m’ayant fait observer que cette visite était une bonne
occasion de parfaire notre provision de viandes, je lui baillai ce qu’il
fallait de pécunes et Bellecroix lui fit observer qu’en ce cas, il lui faudrait
s’arrêter au bourg de Saint-Martin-de-Ré, car c’était là qu’il trouverait ce à
quoi il appétait. Hörner demeura donc là avec la charrette, son chien Zeus, et
quatre de ses soldats. Bellecroix le recommanda chaleureusement à l’auberge du
Grouin – ainsi appelée en raison de la Pointe du Grouin, située à
l’extrémité nord-ouest de l’île – et leur recommanda de ne pas trop porter
de tostées avec ses hommes, le vin du pays, si doux qu’il fût au gosier,
montant fort aux mérangeoises. Zeus
Weitere Kostenlose Bücher