Le Lys Et La Pourpre
qu’elle
paraissait dormir, je m’apensai qu’il ne faudrait guère plus de deux heures à
l’armada de Buckingham pour atteindre la plage de Sablanceaux, si du moins
telle était bien sa destination.
Je demeurai là une bonne demi-heure et les voiles,
entretemps, ayant quelque peu grandi, j’entrepris de les compter. Mais elles
paraissaient, du fait de la distance, si serrées les unes contre les autres,
que je perdis bientôt mon compte et renonçai à mon entreprise. Je retins
néanmoins le sentiment qu’elles n’étaient pas moins d’une centaine. Chiffre qui
ne faillait pas d’être assez effrayant, pour la raison que cette formidable
armada portait dans ses flancs une armée qui pourrait être le double, sinon
même le triple de la nôtre.
Le spectacle de toutes ces voiles gracieusement gonflées, et
naviguant de concert dans le pertuis breton en cette claire journée d’été et
sans un nuage dans le ciel et sans une ride sur la mer, était d’une grande
beauté. Et il émanait de cette lente et majestueuse approche une douceur et une
paix, tout à plein émouvantes, alors même que ce ne fussent pas précisément ces
grâces-là que cette magnifique flotte nous venait dispenser.
Néanmoins, si je fus ému alors, ce fut par un bien autre
sentiment que la peur. Pour ma part et pour le moment du moins, je n’avais
aucune peine à chasser de ma pensée l’appréhension de la mort, tant je me
sentais bien en vie, le soleil me caressant amicalement la nuque, laquelle
était en même temps rafraîchie par le noroît. Tous mes membres me paraissaient
dispos, gonflés de force et de sève. L’immensité si paisible et si limpide de
l’océan m’attirait comme un aimant. Que ne pouvais-je par le pouvoir d’une
incantation magique en chasser les envahisseurs d’un seul geste de la main, et
comme j’eusse aimé alors qu’une sirène sortît de la mer et se fît femme par
magie et me tînt compagnie. Quel n’eût pas été alors mon bonheur de me promener
en sa compagnie le long des plages, de m’acagnarder avec elle sur le flanc des
dunes de Rivedoux, et las enfin de nos charmants tumultes, de plonger avec elle
dans l’eau fraîche et transparente de la baie.
Mais de mon rêve même, je n’étais qu’à moitié dupe. Le
réveil, je le savais, serait rude. Le fracas des mousquetades et des canonnades
allait m’arracher à ces enchériments. La belle plage des sables bien aimés
serait taché de sang. Et avant même que le soleil disparaisse dans l’océan,
beaucoup de beaux et vaillants hommes des deux bords auraient perdu la vie.
*
* *
De hautes dunes, comme on en voit tant en cette île où les
vents sont toute l’année très actifs, nous séparaient de la plage de
Sablanceaux, tant est qu’en arrivant sur elles, l’avant-garde de la petite
armée de Toiras ne vit que le haut des mâts des vaisseaux qui avaient abordé là.
Quelques guetteurs anglais, tapis en haut des dunes, sans doute pour annoncer
la survenue de nos troupes, nous tirèrent sus dès qu’ils nous virent, mais nos
gens de pied répliquèrent par une mousquetade si nourrie qu’ils se retirèrent
aussitôt. Toiras fut surpris et comme inquiet de ce peu de résistance et sur la
prière que je lui fis d’aller voir sur le haut des dunes avec mes Suisses ce
qui se passait de l’autre côté, il ne crut pas pouvoir me l’interdire, car je
m’étais engagé, on s’en ramentoit, à ne pas prendre part à la charge de
cavalerie, mais non à demeurer les bras croisés.
Je laissai Nicolas et deux des Suisses désignés par Hörner à
la garde des chevaux et nous nous mîmes à gravir la dune centrale.
Il y en avait deux autres et celle-ci me parut la plus haute
et par conséquent la plus propre à donner des vues sur l’escadre ennemie. Cette
ascension ne fut pas un jeu d’enfant dont on coupe le pain en tartines. De
prime, parce que la dune était fort escalabreuse. D’autre part, parce qu’à
chaque pas, le sable était si meuble que le pied s’y enfonçait quasi jusqu’à la
cheville. Tant est qu’il fallait faire effort à chaque pas pour retirer
successivement le pied gauche et le droit. En fait, nous y avions tous perdu
notre vent et haleine en atteignant le sommet, et fumes heureux, sans montrer
le moindrement la tête, de nous y reposer.
— Et maintenant, Herr Graf, dit Hörner, il faut
voir sans être vu.
Comme toutes les maximes militaires, celle-ci me parut plus
facile à énoncer qu’à
Weitere Kostenlose Bücher