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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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décloses, je prenais ou plutôt nous prenions, Nicolas, Clérac et moi,
une repue rapide sur les onze heures avec Monsieur de Toiras ; je dis
rapide, car Toiras était impatient de retourner surveiller les chantiers et un
gigot d’agneau nous confrontait sur la table, si croustillant qu’il eût fait
saliver un ermite. Mais au moment où Toiras, qui aimait faire le découpage,
allait y porter le couteau, on toqua fort à l’huis. Je criai l’entrant et
Hörner, l’huis à peine entrebâillé, passa la tête par l’ouverture et dit dans
un français que son émeuvement rendait fort guttural :
    —  Herr Graf ! Monsieur de La Rabatelière
demande à voir de toute urgence Monsieur de Toiras.
    Ce nom de Rabatelière eut sur Toiras un effet extraordinaire
et, en un éclair, j’entendis bien pourquoi. La Rabatelière commandait le
peloton des vigies à la Pointe du Grouin. Toiras bondit de sa chaire et, le
couteau à découper encore dans la dextre, courut à la porte et acheva de
l’ouvrir tandis que tous trois, Nicolas, Clérac et moi, nous nous pressions à
sa suite. L’huis tout à plein déclos, La Rabatelière apparut, rouge et
trémulant en son excitation et apparemment incapable d’articuler mot ni miette.
Tandis qu’il peinait pour reprendre son souffle, vent et haleine, une
particularité de sa physionomie se grava, Dieu sait pourquoi, dans ma
remembrance : il n’avait pour ainsi dire pas de sourcils.
    — Les voilà ! cria-t-il, sa voix à la parfin
explosant de son gargamel.
    — Les voilà ! cria Toiras. En êtes-vous bien
assuré ?
    — Oui-da ! J’en suis certain. Ce ne sont encore que
des points au nord-ouest du Pertuis, mais ces points sont si nombreux qu’on ne
peut les prendre pour des caboteurs.
    — Allons ! cria Toiras, et découvrant dans sa
dextre le couteau à découper dont il serrait avec force le manche, il le jeta
sur la table et sortit en trombe, suivi par notre trio.
    Pensant alors qu’il allait perdre du temps à seller son
propre cheval, il sauta sans façon sur celui de La Rabatelière et,
l’éperonnant, saillit des murs à brides avalées.
    — Monsieur de La Rabatelière, dis-je, en le voyant fort
déconfit, venez, je vous prêterai une de mes montures !
    En un tournemain, Nicolas sella cette monture et ensuite
Accla avec mon aide, et je galopais hors des murs bon second, quand je vis que
j’étais suivi, mais non rattrapé, par Monsieur de Clérac, Monsieur de La
Rabatelière et Nicolas. Le soleil était fort haut et dardait sur ma tête nue,
mais je sentais, me caressant la nuque, une fraîche brise sans que j’osasse
penser qu’elle était bienfaisante, puisqu’en même temps elle poussait vers nous,
inéluctablement, l’armada des envahisseurs.
    Quand je parvins à la Pointe du Grouin, Toiras, fort droit
et le corps cambré, collait l’œil à la longue-vue, et comme ses lèvres
bougeaient, je supposai qu’il comptait les points aperçus à l’horizon. Mais juste
comme je pensais cela, il décolla la longue-vue de son œil et me la tendit avec
impatience.
    — Il est encore trop tôt pour les compter ! Ce
qu’il y a de sûr, c’est qu’ils sont en nombre ! Regardez vous-même !
    Et enveloppant les gens qui se trouvaient là un peu autour
de lui, Toiras dit en gaussant :
    — Messieurs, puisque les Anglais nous font l’honneur de
nous faire une visite impromptue, nous allons les recevoir avec les égards qui
leur sont dus.
    Là-dessus, il y eut des rires et il ajouta :
    — Même un canon peut être courtois, quand il est
convenablement chatouillé.
    Nous rîmes à gueule bec et, sans tant languir, Toiras se
dirigea vers les chevaux que Nicolas gardait et, par cette sorte d’habitude qui
commence au premier acte, il aurait repris la jument de La Rabatelière, si
Nicolas, avec une heureuse promptitude, ne lui avait présenté celle que j’avais
prêté au chef des vigies. Toiras sauta en selle sans s’étonner le moindrement
de la substitution et Nicolas, m’ayant consulté de l’œil, galopa à sa suite, voulant
s’assurer que le cheval prêté retrouverait dans la citadelle sa place dans mon
écurie et non dans celle de Toiras.
    — La grand merci à votre Nicolas, me dit La Rabatelière
à l’oreille. Et comme je vous envie d’avoir un écuyer aussi prompt et
frisquet !
    Bien plus tard, je m’apensai comme il était étrange que nous
fussions si préoccupés de nos chevaux, alors que l’arrivée des Anglais

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