Le Lys Et La Pourpre
dans
l’île nous mettait en danger d’être tués dès la première mousquetade.
De retour à la citadelle, j’y trouvai un extraordinaire
tohu-bohu. La place grouillait à ce point de chevaux qu’on sellait et de
soldats qui s’armaient en guerre que vous eussiez cru que la garnison avait
quasiment doublé en nombre. Mais je ne fus pas long à apprendre la raison de ce
remue-ménage. Toiras allait se porter à la rencontre de l’ennemi avec toute sa
cavalerie, deux cents chevaux et mille trois cents gens de pied. Le reste, soit
sept cents fantassins, était pour demeurer dans la citadelle afin de la garder
des surprises.
De retour en ma maison, je demandai à Hörner ce qu’il
pensait de cette décision et après s’être réfléchi là-dessus un petit, il me
dit que, dans tous les cas, c’était une bonne chose que de s’opposer au
débarquement.
— Mon cher Hörner, dis-je, qu’entendez-vous par
« dans tous les cas » ?
— Eh bien ! Si les Anglais ne sont pas plus
nombreux que les nôtres, il ne sera pas impossible de faire échec à leur
invasion. S’ils sont beaucoup plus nombreux, il est tout indiqué de leur faire
le plus de mal possible, lorsqu’ils poseront le pied sur notre territoire, afin
de diminuer la confiance que leur donnerait une occupation trop facile. Et
d’autant que tous les villages de l’île de Ré étant composés d’une majorité de
huguenots, Sainte-Marie, La Flotte, Saint-Martin, La Couarde, pour ne citer que
ceux-là, ne failliront pas à déclore leur porte avec allégresse à
l’envahisseur.
Comme il achevait, on toqua à l’huis, je fis signe à Nicolas
d’ouvrir, et Monsieur de Bellecroix apparut.
— Monsieur le Comte, dit-il avec un très grand salut,
Monsieur de Toiras vous fait dire, par mon truchement, qu’il n’est pas
nécessaire que vous vous joigniez à cette expédition. Mais, si vous choisissez
de venir, il désire, s’il donne un assaut di cavalerie, que vous n’y preniez
aucune part. Il souhaite, en effet, que vous demeuriez vivant pour jouer, le
moment venu, le rôle diplomatique auquel le roi vous a destiné. Et ce qui vaut
pour vous vaut aussi pour vos Suisses.
— Monsieur de Bellecroix, dis-je, en arrivant céans, je
me suis mis sous les ordres de Monsieur de Toiras. J’obéirai donc à ce
commandement comme à tous ceux qu’il me donnera dans la suite. Cependant, je me
joindrai à l’expédition puisqu’il me laisse ce choix.
— Monsieur de Toiras, dit Bellecroix, sera heureux
d’ouïr ces paroles.
Et après un grand salut, il se retira.
— Herr Graf, dit Hörner, dès que nous fumes
seuls, puis-je vous poser question ?
— Pose, brave Hörner !
— Puisque votre vie doit être sauvegardée afin que vous
puissiez mener à bien votre mission, pourquoi vous joindre à cette
expédition ? Même sans prendre part à une charge de cavalerie –
laquelle est toujours très meurtrière pour les cavaliers, surtout lorsqu’ils se
heurtent aux mousquets et aux piques des gens de pied – il est fort
périlleux de se trouver sur un champ de bataille. Les boulets ne choisissent
pas.
— Capitaine, dis-je, savez-vous que le bruit ayant
couru à Rome que son épouse était adultère, Jules César, tout en la croyant
innocente, la répudia. Et comme ses familiers s’en étonnaient, il leur
répondit : « La femme de César ne doit pas être soupçonnée. »
— Herr Graf, dit Hörner, non sans quelque
vergogne, plaise à vous de m’expliquer votre explication ! Je ne l’entends
point !
— Elle veut dire qu’il serait très messéant que
l’envoyé du roi sur l’île de Ré puisse être soupçonné de couardise.
— Ach ! dit Hörner, comme cela est
intéressant ! Comme c’est philosophique ! La femme de César ! Ach ! La femme de César ne doit pas être soupçonnée ! Et cela se peut dire
aussi d’un homme ! Ach ! Wie Klug sind die Franzose [79] !
Je le laissai dans son ébahissement et, ma longue-vue en
main, je gagnai la tour la plus haute de la citadelle et là, appuyé sur le
parapet crénelé dont la pierre était chaude sous l’effet du soleil, je balayai
l’horizon de ma longue-vue. Les points n’étaient plus des points, mais des
voiles, guère plus grandes encore que des jouets d’enfants, toutefois gonflées
d’un bon vent de noroît, modéré mais bien établi, si bien que les vaisseaux
naviguant à bonne allure au grand largue et la mer étant si calme
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