Le Lys Et La Pourpre
avait ranimé chez Louis ses espoirs dynastiques) ne lui avait point
donné plus de connaissance ni d’indulgence pour le gentil sesso [16] .
Bien avant de rencontrer le cardinal, il pensait comme lui
que les femmes étaient d’« étranges animaux, capables d’aucun bien »,
race babillarde, légère, irréfléchie, occupée à des riens et sans cesse
inclinant au péché par une pente naturelle. De peur qu’il imitât un jour le
Vert Galant, son confesseur, en ses enfances, lui avait seriné que le péché,
c’était la chair et la chair, c’était la femme. Et comme déjà il avait peu
d’appétit à ce sexe dangereux et incompréhensible, il trouvait en lui-même peu
d’élan pour passer outre à ces défenses. Pour Anne, il était un maître austère,
sévère, taciturne, qui la jugeait sans indulgence et ne lui pardonnait rien.
Quand, le vingt-cinq mai, je pénétrai, avec la suite de
Buckingham, dans sa chambre, je la vis dans la ruelle, trônant sur une chaire à
bras, superbement attifurée, entourée de ses dames d’honneur, la duchesse de
Chevreuse étant seule assise sur un pliant, quasiment à ses pieds. La reine me
parut un peu pâle. Son écuyer, Monsieur de Putange, qui défendait le passage
des balustres, s’inclina profondément devant Lord Buckingham et le laissa, seul,
entrer dans la ruelle. Il y avait fort grande presse de monde en cette chambre,
et dans la ruelle et derrière les balustres, tant est que les remarques à voix
basse des assistants produisaient à s’additionner un bourdonnement continu qui
m’étonna par son volume. Buckingham, qui portait, assurément à dessein, l’habit
de velours blanc constellé de diamants dans lequel Anne l’avait vu deux ans
plus tôt lors du ballet de la reine-mère, salua la reine selon le protocole en
usage à la Cour de France. Il ôta son chapeau d’un geste large, les plumes dont
il était orné balayant le tapis. Puis, mettant un genou à terre, il baisa le
bas de sa robe. Après quoi, se relevant, il lui fit, d’une voix basse et grave,
un compliment en français très bien tourné qu’il avait dû préparer avec le plus
grand soin. Anne lui répondit qu’elle était bien aise d’accueillir en sa
personne le ministre d’un grand royaume ami et allié du sien. Cette phrase lui
avait été répétée la veille par le grand chambellan et elle l’avait non sans
mal apprise, ces propos n’ayant pour elle aucun sens, étant si éloignés de ses
émotions. Elle les récita d’un ton monocorde, comme une écolière, les yeux
baissés. Et quand elle en fut arrivée à bout sans encombre, elle poussa un
petit soupir de soulagement, ouvrit les yeux et envisagea Buckingham. Elle
rougit alors, et tout soudain, une telle joie éclata sur son visage que le
bourdonnement des conversations particulières cessa et laissa place à un
profond silence.
Il y avait dans ce silence je ne sais quoi d’avide et de
cruel. On eût dit qu’à peine entrée dans l’arène, Anne avait laissé par mégarde
tomber ses armes et se trouvait d’ores en avant confrontée sans recours ni
secours à un lion rugissant. Je ressentis pour elle à cet instant un sentiment
de compassion qui me donna quelque chagrin, mais ce chagrin se changea tout
soudain en une ire plus violente, quoique contenue, quand je vis se dessiner
sur les lèvres de Madame de Chevreuse, assise aux pieds de la reine, mais en
fait la dominant, un sourire triomphant qui me la rendit haïssable. Son long
travail de sape portait ses fruits. Elle touchait à son but. Sa vengeance était
proche. « Tête bleue ! m’apensai-je à cet instant, comme j’aimerais
tordre le cou à ce petit serpent ! »
Buckingham demeura huit jours à Paris et serait resté plus
longtemps s’il avait pu. Le beau Lord visitait la reine tous les jours et sur
le fait de ces visites, d’autant qu’il faisait les mêmes à la reine-mère, il
n’y avait rien à dire, mais beaucoup sur leur déroulement. L’émotion de la
reine, quand il apparaissait, son empressement à accepter ses hommages, sa
familiarité, les a parte qu’elle lui permettait dans les embrasures des
fenêtres, les regards dont il osait l’envelopper sans qu’elle le rebutât, la
main qu’elle lui abandonnait quasiment sans y prendre garde, sa pâleur et sa
rêverie quand il la quittait, tout cela donnait furieusement à jaser, sans que
la reine voulût s’en apercevoir.
Toutefois, dans les intervalles entre ces visites,
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