Le Lys Et La Pourpre
Conti.
— Oui, Madame.
— Je vous remercie, dit-elle, la lèvre dédaigneuse et
la crête fort haute. Véritablement, je vous remercie de tout cœur de vos bonnes
leçons. Je ne sache pas, toutefois, que je les agrée comme je le devrais, et
d’ores en avant, je renoncerai, pendant quelque temps, à l’honneur de vous
revoir, afin que de vous éviter la peine de les renouveler.
*
* *
Je fus un long mois, en effet, avant de revoir la princesse
de Conti, non que je le désirasse après la rebuffade que j’avais essuyée
d’elle, mais Madame de Guise, qui se sentait malheureuse quand elle ne
rassemblait pas ses poussins sous ses plumes, n’eut de cesse qu’elle ne nous
réunît derechef chez elle pour un nouveau dîner à trois becs.
Le moins que je puisse dire, c’est que cette repue faillit
étrangement en chaleur fraternelle. Le plaisir que me donnaient à l’accoutumée
la beauté de Louise-Marguerite, son esprit et jusqu’aux splendides affiquets
dont elle se parait, s’évanouit dès que je jetai l’œil sur ses yeux inhabités
par la moindre tendresse. Dès cet instant, je sentis que l’absence et la
distance n’avaient fait qu’aggraver notre différend et qu’elle me considérait
meshui comme appartenant à un autre parti que le sien : celui du roi et du
cardinal, contre lequel, en sa folie, elle nourrissait, comme la Chevreuse, une
animosité tant aveugle qu’irraisonnée.
Les plumes maternelles ne la réchauffaient pas. Mangeant du
bout des lèvres, l’air absent et hautain, elle se cuirassait dans une froideur
courtoise, mettait entre elle et moi des lieues infranchissables et ne me
posait pas la moindre question. De mon côté, je me gardais bien de toute mise
en garde, alors même que je la sentais plus que jamais nécessaire, tant il me
parut évident qu’à courte ou lointaine échéance, en entrant en opposition
ouverte contre le roi et le cardinal, ma pauvre sœur courait au désastre.
Je quittai l’hôtel de Guise, attristé et déquiété, tant
étaient grandes mes appréhensions de voir la princesse de Conti prisonnière
d’une coterie funeste. À mon sentiment, c’était pure démence de la part de la
princesse d’entrer à l’étourdie dans ces périlleuses brouilleries tissées par
des gens assez sots, légers et inconsidérés pour aller battre en assaut
dérisoire le pied de rocs aussi hauts, aussi puissants et aussi fermes que le
roi et le cardinal, lesquels, dès qu’on les voulait séparer, se soudaient plus
fortement l’un à l’autre.
Le plus fol, le plus fat, le plus outrecuidant, le plus
dénué de bon sens, de raison et d’assiette de ces intrigants fut à coup sûr le
duc de Buckingham. Favori de deux rois, il était monté comme l’écume, et il en
avait la consistance. Avec le temps, son infatuation d’enfant gâté était
devenue telle qu’il eût voulu tout subjuguer par sa beauté et soumettre le
monde entier à ses caprices. Comme bien le montre cette lamentable histoire
d’Amiens, que je conterai plus loin et qui fut d’un bout à l’autre si absurde
que je l’eusse qualifiée de puérile si, deux ans plus tard, ses ultimes
conséquences n’avaient placé Louis et l’État en un si périlleux prédicament.
Le roi et le cardinal s’étant résignés – de peur que le
mariage anglais fût rompu – à laisser venir Buckingham à Paris aux fins
d’emmener la princesse Henriette-Marie à Londres, il vint enfin à nous, cet
épitomé de toutes les grâces viriles.
Il arriva au Louvre le vingt-quatre mai à la tombée de la
nuit, mais même aux chandelles il éblouit les dames de la Cour au point qu’on
oyait quasiment battre leurs cœurs. Et pour dire le vrai, c’était l’homme du
monde le mieux fait et de la meilleure mine, grand, svelte, bien découplé, les
traits d’une statue grecque, le cheveu bouclé, et de fort beaux yeux, dont il
usait fort bien. Il était venu avec une suite peu nombreuse de Lords anglais,
mais sans doute pour compenser cette économie, ses bagues contenaient, comme je
l’appris en babillant avec son porte-manteau, vingt-sept habits, dont le plus
magnifique qui était constellé de diamants, avait coûté quatre-vingt mille
livres sterling.
Buckingham était descendu, cela va sans dire, en l’hôtel de
Madame de Chevreuse, rue Saint-Thomas du Louvre, entre la rue du Doyenné et la
rue Saint-Honoré et, bien que je n’ignore pas que ma belle lectrice attende ici
avec quelque impatience
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