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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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s’il n’y avait eu dans le monde qu’une seule femme digne d’être ainsi
nommée. Bref, Don Juan de Tassis fit une cour empressée à la francesa, mais,
semble-t-il, sans grand succès. Il s’attaqua alors à Dona Francisca de Tavora
que l’on appelait à Madrid la hermosa Portuguesa pour ce qu’elle était
originaire de Lisbonne.
    — Et pour quelle raison fit-il le siège de cette
dame ?
    — Parce qu’elle était la maîtresse du roi. Et avec
elle, semble-t-il, il réussit mieux qu’avec la francesa.
    —  S’agissant de la honra du roi, ce
n’était pourtant qu’un demi-succès, remarqua La Surie.
    — Oui, mais de ce demi-succès, reprit Fogacer, Don Juan
de Tassis entreprit de faire mensongèrement un plein succès en publiant un
poème d’amour qu’il dédia, avec une perfidie raffinée, à Francelisa.
    —  Où est la perfidie ? dit mon père.
    —  Francelisa pouvait aussi bien désigner Francisco, la maîtresse du roi, que la francesa, son épouse…
    — Et que résulta-t-il de ces équivoques écornes ?
    — Don Juan de Tassis fut dagué un soir comme il sortait
de son carrosse.
    — Par les hommes du roi ?
    — Nenni. Philippe III était mort un an auparavant.
Mais grand était le cortège des femmes déshonorées et des parents vengeurs…
    — Voilà qui finit bien, dit La Surie. Le méchant est
dépêché et l’Enfer le happe.
    — Oh ! dit Fogacer. Il y eut dans le cas de Don
Juan de Tassis un bien pis châtiment que l’Enfer.
    — Qu’est cela, chanoine ? dit mon père en riant.
Qu’ai-je ouï ? Est-ce bien un prêtre qui parle de la sorte ? Y a-t-il
pis punition que de rôtir embroché par les septante-sept diables de
l’Enfer ?
    — Il y a pis pour un Grand d’Espagne, dit gravement
Fogacer. Son bon renom à jamais souillé.
    — Ne l’était-il pas déjà, dis-je, par ses forfaits ?
    — Que nenni ! Aux yeux du monde, séduire une fille
et tuer le frère vengeur n’est qu’une bravura qui donne du lustre à un caballero. Mais ce que la police de Madrid découvrit au sujet de Don Juan quelques
mois avant qu’il fût occis fut autrement déshonorant.
    — Et que découvrit-elle ?
    — Don Juan était le grand maître reconnu des sodomistes
les plus huppés et titrés d’Espagne et il donnait en son palais de scandaleuses
fêtes de nuit où « le péché impardonnable » – ainsi parle mon
Église, poursuivit Fogacer en baissant les yeux – était en public perpétré
avec toutes les diaboliques déviations qui s’y peuvent rattacher…
    Un silence suivit ces paroles, que ni mon père, ni La Surie,
ni moi-même n’osions commenter, le passé de Fogacer nous étant à tous trois
bien connu, tant est que sachant la profonde bonté de son naturel, il nous
paraissait impossible de lier en quelque façon que ce fût la cruauté d’un
Buckingham ou d’un Don Juan de Tassis aux mœurs qui avaient été celles de
Fogacer.
    — Chanoine, dit à la parfin mon père, n’êtes-vous pas
un peu dur pour ceux qu’on appelle les « bougres » ? J’ai eu un
ami très cher, et qui l’est toujours, lequel s’est montré d’une douceur et
d’une gentillesse extrêmes pour mon Angelina dans les moments où, tourmenté de
doutes à son sujet, je l’avais délaissée.
    Fogacer rougit d’émeuvement à ce rappel du rôle
véritablement fraternel qu’il avait joué auprès d’Angelina quand les soupçons
de mon père l’avaient accablée. Puis se remettant par degrés de son émeuvement,
il dit avec un long et sinueux sourire et un petit brillement de son œil
noisette :
    — Mon ami, ne prenez pas, de grâce, tant de gants avec
moi. Même au temps de ma bougrerie, j’ai toujours aimé les femmes dans leur
être moral, et bien que je n’aie pas poussé plus loin mon affection pour elles,
je n’ai jamais fait peine à aucune d’elles. Mais il y a bougres et bougres et
d’aucuns de ceux-là feignent d’aimer ces « étranges animaux »
auxquels ne les porte en aucune façon leur pente naturelle. L’imposture est odieuse,
car tout en menant des vies secrètes, Don Juan, Buckingham et bien d’autres de
même farine en notre cour même, se donnent le renom d’être des verts galants
alors que le seul plaisir qu’ils tirent des femmes est de se revancher de leur
impuissance à les aimer en les déshonorant.

 
CHAPITRE IV
    On s’en ramentoit : ce ne fut pas sans être harcelé
d’appréhensions, d’ombrages et de soupçons que

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