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Le Manuscrit de Grenade

Le Manuscrit de Grenade

Titel: Le Manuscrit de Grenade Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marianne Leconte
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inattendue. Foudroyée par la terreur, elle se figea, les bras ballants, les yeux dans le vide. Sa passivité excita le brigand qui fut sur elle en deux enjambées. Il posa sa paume droite sur sa tête pour la forcer à s’agenouiller. Incapable de réagir, elle avait l’impression d’être dans un état second. Soudain ce fut comme si une autre personne prenait le contrôle de son cerveau. Ses mains entrèrent en action et saisirent ses dagues. Les deux lames se glissèrent dans l’entrejambe du bandit, se croisèrent en ciseaux et lui tranchèrent d’un seul coup testicules et pénis. Un couinement de surprise, le bruit d’une masse qui frappe la roche, puis plus rien. Tio Pepe avait dû s’assommer en tombant car il restait silencieux. Elle rejoignit sa chambre en courant et secoua son compagnon. Son calme l’avait abandonnée et elle paniquait en pensant aux conséquences de son acte. Le dormeur sauta sur ses pieds dès qu’elle l’eut touché.
    — Bon sang, que se passe-t-il Luis ? On dirait que tu as vu le diable.
    — J’ai émasculé Tio Pepe.
    — Sang de dieu !
    Il alluma une bougie qu’il lui confia, enfila ses bottes et saisit les besaces qui contenaient ses derniers achats :
    — Allons voir où en est ce pauvre homme.
    Elle faillit s’étrangler.
    — Ce pauvre homme a voulu me violer, asséna-t-elle avec rage.
    — À qui la faute ? Je t’avais dit de ne jamais t’éloigner de moi et tu cours te jeter dans la gueule du loup.
    Une fois sur place Manuel lui reprit la chandelle pour examiner le corps énorme affalé sur le sol dans une immense flaque de sang. En se relevant il la toisa avec curiosité :
    — Une opération parfaitement réussie. On pourrait presque croire que tu as suivi l’enseignement d’un barbier, mon garçon.
    Son expression la bouleversa. Un mélange d’admiration, de méfiance et d’un sentiment plus trouble qu’elle n’arrivait pas à définir. Elle recula vers l’ombre pour éviter son regard. Elle se sentait nauséeuse, perdue, incapable de comprendre comment elle avait eu le courage de passer à l’acte. Craignant que sa voix ne la trahisse, elle balbutia :
    — Non, j’ai eu un bon maître d’armes.
    Dieu merci, il ne remarqua ni sa mine déconfite, ni les tremblements qui l’agitaient.
    — Et moi de la malchance. Me voici définitivement fâché avec cette bande de brigands.
    Fouillant dans ses chausses, il en tira une bourse remplie de pièces d’or qu’il vida sur le cadavre. Puis il posa délicatement la bourse qui portait ses initiales sur la poitrine du mort. Comme Isabeau le regardait faire en silence, il expliqua :
    — Le temps qu’ils s’entre-tuent pour partager ce trésor et élire un nouveau chef, nous serons loin.
    Elle n’avait pas anticipé sa décision, mais ne fut pas surprise. Il parlait d’une voix tranquille comme s’il trouvait normal de s’enfuir avec elle. Il aurait pu la livrer à ses amis, mais cette pensée ne l’avait pas effleuré. Elle ne s’était pas trompée sur son compte. Un hidalgo, en rupture de ban,
    — Ne voudront-ils pas venger sa mort ?
    — Pour ces bandits, il n’existe déjà plus.
     
    Dans l’immense salle voûtée qui servait d’écurie, le petit garçon aux yeux vifs dormait profondément. Don Manuel harnacha son cheval, et comme elle se dirigeait rayonnante vers sa jument, il lui donna un léger coup de cravache sur les fesses. Furieuse, elle se retourna et pointa sa dague contre son cou, sous son oreille droite. Ils étaient si près l’un de l’autre que leurs poitrines se touchaient. Deux yeux turquoise la fixaient d’un air mécontent.
    — Cette jument m’appartient ! cria-t-elle.
    Aveuglée par la colère, elle ne vit rien venir. Il la désarma en un quart de seconde, lui croisa les bras derrière le dos et la maintint contre lui pour l’empêcher de bouger. Visage contre visage, haleines mêlées, ils se défiaient du regard quand Isabeau eut la surprise de sentir contre son ventre le sexe de son assaillant. Aussitôt elle vit son trouble, comme s’il était lui-même étonné par les réactions de son corps. Il la lâcha précipitamment, comme on lâche un brandon.
    — Désormais cette jument leur appartient. Si nous la reprenons, ils se lanceront à nos trousses. Pour ne pas partir comme des voleurs, nous allons leur acheter cette superbe mule grise. Cela devrait les mettre de bonne humeur, dit-il d’une voix neutre en laissant quelques pièces sur

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