Le Manuscrit de Grenade
l’un de l’autre, il murmura :
— Surtout, assieds-toi à mes côtés et ne t’éloigne jamais de moi.
Effrayée par son ton pressant et sa mine soucieuse, elle se fit l’effet d’une sangsue toute la soirée, sourde aux plaisanteries graveleuses des brigands qui ricanaient. Malgré sa fatigue, elle resta jusque tard dans la nuit assise à la table du banquet en compagnie de gredins ivres et grossiers. Le repas se passa sans incident.
Vers minuit, l’hidalgo chargea ses sacoches sur ses épaules, saisit un bougeoir, prit sa main, salua en s’inclinant le seigneur des lieux qui leur lança un clin d’œil égrillard. Il l’entraîna alors dans une pièce sombre où il avait installé leurs affaires. Elle s’allongea sur l’unique paillasse, un peu inquiète quand elle se rendit compte qu’il se couchait à ses côtés.
Bien décidée à garder ses distances, elle se pelotonna sur le bord du matelas. Jusque-là, Manuel s’était comporté comme un parfait gentilhomme, mais Isabeau n’arrivait pas à se détendre. C’était la première fois qu’elle dormait à côté d’un homme. Des pensées sournoises lui traversaient l’esprit. Des bribes de conversation surprises dans les cuisines du château lui revenaient en mémoire. Quand elles parlaient de la gent masculine, les servantes étaient intarissables. Elles semblaient toutes d’accord sur un point : les hommes ne pensaient qu’à culbuter les filles dans le foin. Leurs reproches s’accompagnaient de rires joyeux, réaction qui avait toujours surpris Isabeau. Dieu merci, son compagnon la prenait pour un garçon. Puis elle se rappela les sous-entendus grivois de Tio Pepe. Le brigand avait désiré le jeune Luis. Se pouvait-il que l’hidalgo partageât les mêmes goûts ? Emportée par le sommeil, elle n’eut pas le temps d’approfondir sa réflexion.
Engluée dans un songe bizarre, Isabeau ne parvenait pas à se réveiller. Elle rêvait qu’elle était assise sur sa monture, mais à l’envers pour surveiller leurs arrières pendant que sa jument suivait le cheval de Manuel. Le pommeau de sa selle arabe, un bâton chantourné utile pour se cramponner dans les sentiers montagneux, lui meurtrissait le dos.
S’arrachant enfin aux brumes de l’inconscience, la jeune fille se retrouva avec soulagement sur son matelas. Elle sentit quelque chose de dur contre le bas de ses reins et bougea pour s’en libérer. Un gémissement de frustration fusa, tandis que Manuel cherchait à se rapprocher. Son compagnon de lit dormait profondément, mais son sexe frémissait de vie. L’image du vit dressé s’imprima dans son cerveau. Le rouge lui monta aux joues pendant qu’une grande chaleur l’envahissait.
Elle eut alors l’étrange sensation que son cœur se réfugiait dans son bas-ventre pour y battre la chamade. Soumis à des pulsations de plus en plus désordonnées, il finit par exploser dans un arc-en-ciel éblouissant. Secouée par la force de sa jouissance, elle mit quelques secondes à reprendre ses esprits. À cause de son corps androgyne, elle avait rarement éprouvé le besoin de se toucher. Quelques caresses suivies d’un plaisir fugace et léger. Elle hésita entre rester tranquille encore quelques instants pour savourer ce qui venait de se passer ou quitter sa couche pour s’éloigner de son compagnon aux yeux trop bleus. Elle se leva chancelante, enfila ses bottes de cuir souples, y cacha les deux dagues qu’elle avait dissimulées sous son matelas, puis s’esquiva sur la pointe des pieds. Non loin de là, dans une pièce réservée à cet usage, des trous creusés dans la roche servaient de latrines.
Elle renouait la ficelle qui maintenait ses chausses à la taille quand le papillon noir surgit devant ses yeux, en même temps qu’un claquement de langue satisfait lui donnait des frissons. Un ours se tenait dans l’ombre de la porte et en obstruait le passage. Avant qu’elle ait eu le temps de réfléchir, l’ours se transforma en monstre humain. Jambes nues, revêtu d’une simple chemise qui cachait mal son gros ventre, Tio Pepe ricana :
— Mais ne serait-ce pas là l’agneau innocent que ce cher Manuel a décidé de garder pour lui seul ? Alors, gamin, enfin déniaisé ? Maintenant que mon cher ami a eu le bon goût de te déflorer, je vais pouvoir te faire découvrir des trucs jouissifs. Tu vas voir, avec un mâle, un vrai, c’est encore meilleur.
Le désespoir engendra chez Isabeau une réaction
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