Le Manuscrit de Grenade
bandes de brigands qui ravagent les royaumes d’Espagne. Dès que Grenade sera tombée entre nos mains, je vous promets d’envoyer mes troupes nettoyer ces nids de frelons. Je vous offrirai la tête de Tio Pepe.
Un léger sourire accueillit ces paroles :
— Tio Pepe est mort, Madame. Puis il ajouta d’un ton aigre-doux : mais je suis sûr qu’il est déjà remplacé
Il se passa ainsi une bonne demi-heure pendant laquelle don Manuel, tout en présentant des parchemins et de petites icônes à sa souveraine, lui faisait un rapport concis sur différents sujets. Quand il eut épuisé ses trésors, il murmura :
— Pour me faire pardonner mon impolitesse, permettez-moi de vous offrir ceci.
Il lui présenta une pochette en satin rouge.
Les yeux brillants, la reine desserra les cordons de la bourse et sortit une croix pectorale en or sertie de perles et de pierres précieuses.
— Seigneur ! Un encolpion byzantin. Le camée central est magnifique ; la Vierge et le Christ enlacés. Merci mon cousin, c’est un présent qui me touche beaucoup. La Vierge de la future cathédrale de Grenade le portera en pendentif. Vous m’avez fait grand plaisir. Des lettres de change vous seront portées dans votre tente pour mes achats. Vous pouvez vous retirer et profiter d’un repos bien mérité. Vous connaissant, je sais que vous ne resterez pas longtemps parmi nous.
Comme son noble interlocuteur semblait vouloir s’attarder, elle le regarda d’un œil perçant et demanda :
— Auriez-vous glané d’autres informations importantes, don Manuel ?
— Hélas non, Votre Majesté. Mais j’ai appris une nouvelle intéressante.
— Vous piquez ma curiosité, marquis. Je vous permets de m’en faire part.
— Il semblerait qu’un converti soit arrivé récemment au camp de Santa Fé pour s’enrôler sous votre bannière. Il est accompagné de son épouse et de sa fille.
Le cœur d’Isabeau fit un bond dans sa poitrine. Ainsi Pedro et Myrin étaient sains et saufs. Mais comment Manuel avait-il eu connaissance de leur présence ? Soudain elle comprit. Il n’en savait rien, mais comme l’avait suggéré Koldo, les fugitifs devaient passer par Santa Fé pour pénétrer dans Grenade. Le traître, pensa-t-elle, voilà comment il compte les retrouver. Les serviteurs d’Isabelle vont se renseigner et s’ils sont là, ils les trouveront. Elle leva la tête pour jeter un coup d’œil furtif vers le trône. La reine semblait surprise par les propos de son espion. Puis, brusquement, une lueur de compréhension traversa son regard. Elle hocha la tête d’un air appréciateur :
— Je comprends. Quelle stimulation pour mes Castillans que de voir d’anciens musulmans se rallier à nous. Et quel outrage pour les assiégés. J’aimerais rencontrer ces vaillantes personnes. Qu’on les convoque pour la veillée de ce soir. Don Manuel, je suis sûre que vous aimeriez assister à l’entrevue. Je compte sur votre présence.
Quand ils furent suffisamment loin de la tente royale, Manuel se mit à siffloter avec entrain.
— Mon cher Luis, nous avons bien travaillé. Allons déjeuner dans une de ces tavernes ambulantes.
— Vous comptez livrer les fugitifs à l’Inquisition ? demanda-t-elle d’une voix sèche où perçait un certain mépris.
Son maître s’arrêta net et, surpris par son ton, examina sa mine boudeuse :
— À l’Inquisition ? Quelle idée !
— C’est vrai, j’oubliais. Ils doivent d’abord trouver le manuscrit.
— Toi mon garçon, tu as trop d’imagination. Cela t’apprendra à écouter des conversations qui ne te concernent pas. Tu devrais savoir qu’il ne faut jamais se fier aux apparences.
Perplexe, Isabeau étudia le beau visage de l’hidalgo. Aimantée par la transparence de ses yeux, elle eut l’impression de se noyer dans les eaux vert pâle d’une crique. Malgré elle, son corps se rapprocha de lui. Elle sentit son souffle sur ses lèvres et se mit à trembler. Manuel se pencha vers elle puis se redressa et tourna les talons en direction d’une grande auberge de toile. Pestant contre son incapacité à comprendre cet homme, elle le suivit le cœur serré, la gorge douloureuse, luttant contre une trop forte émotion.
Soudain, la jeune fille comprit que les retrouvailles avec Pedro présentaient un danger. Son déguisement ne tromperait pas le maître d’armes. Ils avaient ferraillé si longtemps l’un contre l’autre… Pedro lui avait enseigné tout
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