Le Manuscrit de Grenade
royaume.
— Sommes-nous obligés d’emmener notre nouvelle amie ?
— Discuter les ordres d’Isabelle de Castille ? Voilà bien une idée de rouquine téméraire. Nous irons tous les trois. Tout se passera bien.
Sa déclaration ne rassura pas la guérisseuse qui savait reconnaître sur les visages les émotions contradictoires. Pedro n’était pas sincère.
La reine était flattée et fière que des conversos rejoignent son armée, mais il était de notoriété publique qu’elle s’en méfiait et ne les aimait pas. Le moindre faux pas… Le vrai problème, c’était Yasmin, son inexpérience, sa fougue, son côté jeune chiot. En compagnie de la jeune magicienne, Myrin se sentait vulnérable.
La fille de Tchalaï ne savait pas ce qui lui faisait le plus peur, les impairs de la princesse, comme elle l’avait baptisée, ou l’usage immodéré que celle-ci faisait de son pouvoir.
Cette pensée l’irrita. Oserait-elle utiliser son propre don s’il le fallait ? Elle contempla la pierre de lune. Au repos, sa couleur nacrée semblait inoffensive, simple caillou poli et doux au toucher. Le moment viendrait où elle serait obligée de s’en servir. Quelles en seraient alors les conséquences ? Yasmin avait plusieurs fois fait appel à son talent et ne semblait pas en avoir souffert. Au contraire. Une bouffée de colère l’envahit, presque aussitôt remplacée par une grande tristesse mêlée d’amertume. Pour ne pas s’attendrir sur son sort, elle s’adressa à Pedro qu’elle trouvait un peu trop optimiste :
— Pourquoi ne pas fuir maintenant ? Koldo n’est pas un imbécile, il finira par arriver avec ses tueurs.
— Nous partirons cette nuit, après notre entrevue avec la reine. En attendant, reposons-nous.
Soudain le maître d’armes rougit. Sans doute avait-il pris conscience du ton sec qu’il venait d’employer. Myrin avait suffisamment de bon sens pour respecter ses décisions. Elle s’approcha de lui, lui planta un baiser sur la joue, mais ne put s’empêcher de le taquiner :
— Bravo mon ami. Depuis votre recrutement, vous donnez des ordres comme un maître d’armes.
L’air gêné d’un enfant pris en train de faire une bêtise, Pedro balbutia :
— Les apparences sont trompeuses.
Surprise par cette réponse qui ne semblait pas lui être destinée, Myrin se retourna. La princesse se tenait sur le seuil de la tente et les contemplait d’un air malicieux. Ravie d’être le point de mire, elle fit la moue avant de déclarer d’une voix ironique :
— Je ne crois que ce que je vois. Regardant Myrin dans les yeux, elle pouffa : ne vous inquiétez pas, je n’utiliserai pas mon don pour séduire votre amoureux.
Choquée par son impudence, la guérisseuse s’apprêtait à la tancer, quand Pedro répondit :
— Tu te trompes Yasmin, je ne suis pas son amoureux.
L’adolescente fit la moue.
Myrin se sentit rougir puis elle réalisa que le guerrier venait de la rejeter devant une petite peste qui se jouait d’eux. Exaspérée, elle s’exclama :
— Bel exemple de lâcheté masculine. N’avez-vous point songé à m’embrasser ? Niez-vous m’avoir désirée ?
— Ne prenez pas vos rêves pour des réalités.
— Mes rêves ou vos rêves ?
— Myrin, voilà qui est indigne de vous.
— Je ne fais que suivre votre exemple.
Un éclat de rire les ramena à la réalité. Hilare, la Mauresque s’amusait comme une enfant. Elle se rapprocha d’eux et exhala un léger nuage parfumé à la rose. En trois enjambées, Myrin bondit vers elle, la prit par les épaules et la secoua brutalement.
— Arrête immédiatement ! Tu n’as donc rien appris ? Nous aurions dû te laisser à la venta .
D’un air digne, Yasmin traversa la tente et rejoignit sa couche en marmonnant :
— Je voulais juste rendre service.
La fille de Tchalaï se tourna vers Pedro :
— N’oubliez pas vos obligations, maître d’armes. Vos élèves vous attendent.
Une fois seule avec sa jeune compagne, elle alla s’asseoir à ses côtés sur le matelas de paille et dit d’une voix lasse :
— Je regrette mes paroles. Ton don est précieux, mais tu dois apprendre à l’utiliser à bon escient. Tu dois aussi respecter les sentiments des autres et ne pas les provoquer. Nous sommes des fugitifs, notre vie ne tient qu’à un fil, ne l’oublie jamais.
— C’est à moi de m’excuser. Tu as raison, je me suis conduite comme une enfant gâtée. Elle hésita quelques
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