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Le Manuscrit de Grenade

Le Manuscrit de Grenade

Titel: Le Manuscrit de Grenade Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marianne Leconte
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ce qu’elle savait. Il connaissait ses expressions, ses failles, ses gestes. Il devinerait son identité au premier coup d’œil. Pourvu qu’il ne la trahisse pas. Un frisson la parcourut en songeant à ce qui l’attendait si elle était découverte : le couvent, la prison ou le bûcher.
    Pourtant cette rencontre était le moyen de les avertir de la duplicité de son sauveur. En pensant à lui, elle se rappela une question qui la tracassait :
    — Quel est votre nom ? Vous êtes vraiment marquis ?
    — On ne t’a jamais dit que la curiosité était un vilain défaut ?
    Une véritable anguille, mais elle ne se laissa pas intimider :
    — J’aimerais savoir à qui je dois la vie. Je préférerais aussi éviter les bévues. Les temps sont durs et les espions sont partout.
    Il lui lança un clin d’œil moqueur :
    — Tu as raison, je te dois une explication. La reine me donne ce titre que je ne mérite pas quand elle est contente de mes renseignements et de mes présents. Voilà, tu es satisfait ?
    Pas vraiment, pensa la jeune fille, qui acquiesça de la tête pour cacher sa frustration. Était-il réellement le cousin d’Isabelle la Catholique, ou n’était-ce encore qu’un leurre ?

9
    La Veillée
    — J E N’EN PEUX PLUS , gémit Yasmin, ce linge mouillé est si lourd. Tu cours comme si tu avais le diable aux trousses. Je veux m’arrêter.
    Tout en continuant à marcher à grands pas, Myrin jeta un regard derrière elle. Impossible de ralentir. Les trois mégères les suivaient toujours, à une distance respectable, mais sans se cacher. Collées l’une contre l’autre, la musaraigne et le hareng saur encadrant la grosse vache, elles parlementaient d’un air excité. Comme si elles hésitaient encore sur la décision à prendre. Leurs mines cruelles ne promettaient rien de bon.
    Sa compagne ne s’était pas aperçue de leur présence. Myrin hésita, puis décida de ne rien dire. Inutile de l’affoler. Son silence énerva l’adolescente :
    — Tu m’entends, je veux me reposer.
    — Avance et tais-toi. Si tu m’avais obéi, nous n’en serions pas là.
    En réponse, la gamine lâcha l’une des anses de la panière qui déversa une partie de sa charge sur la terre poussiéreuse. Sans un regard pour les chemises blanches souillées, elle se campa devant son aînée et cracha :
    — Puisque ma façon d’agir ne te plaît pas, tu n’as qu’à te débrouiller seule. Moi je vais aller explorer l’échoppe de tissus
    La gifle claqua avant qu’elle ait terminé sa phrase. Myrin avait réagi avec une violence qui ne lui était pas habituelle. Blême, elle contemplait la marque laissée par sa main sur la joue gauche de la parfumeuse. Comment avait-elle pu ? Soudain, le visage de Yasmin se transforma sous l’effet d’une fureur terrifiante. Les yeux fous, la bouche ouverte, elle haletait comme un chien enragé. Prête à mordre ! Myrin se jeta sur le sol. Couchée dans la poussière, elle sentit qu’elle venait d’éviter de justesse l’haleine venimeuse de la maîtresse des parfums. Elle se relevait quand un brouhaha menaçant lui rappela le danger qui se rapprochait. Flageolante, elle se précipita dans une boutique.
    Quand elle revint, la crise de folie qui s’était emparée de Yasmin semblait terminée. La jeune fille était hagarde, mais apaisée.
    — Je suis désolée pour la gifle. Garde ton calme et laisse-moi gérer la situation.
    Honteuse, Yasmin chuchota d’une voix misérable :
    — Où étais-tu ?
    La réponse se perdit dans les criailleries d’une bande de harpies qui fonçaient vers elles.
    — La voilà, c’est elle.
    — C’est une sorcière, attrapez-la !
    — Livrons-la à l’Inquisition !
    — Qu’elle périsse dans les flammes !
    Ameutée par les hurlements des lavandières, une troupe disparate d’hommes et de femmes entourait désormais les fugitives. La guérisseuse parcourut la foule des yeux, en quête d’une opportunité, mais toute fuite semblait impossible. Un bel hidalgo aux yeux bleus s’arrêta pour regarder la scène, puis continua son chemin en haussant les épaules.
    D’une voix forte, elle tenta de couvrir les vociférations des gens :
    — C’est une erreur ! Laissez-moi vous expliquer ce qui s’est passé.
    L’une des lavandières, la grosse aux joues rouges, la bouscula puis lui saisit le poignet droit. Myrin tenta de se dégager, mais l’autre raffermit sa prise en lui enfonçant ses ongles dans la peau.

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