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Le Manuscrit de Grenade

Le Manuscrit de Grenade

Titel: Le Manuscrit de Grenade Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marianne Leconte
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bouclés retenus par un fin diadème d’or ciselé cachaient ses épaules légèrement dénudées, puis tombaient en cascade dans son dos.
    Installés sur de simples tabourets de bois, grands d’Espagne et nobles dames, revêtus de leurs plus beaux brocarts malgré le lieu et les circonstances, s’interpellaient, plaisantaient, se moquaient, se lançaient à la tête les paris les plus audacieux. La reine écoutait, riait à un sous-entendu ou à une raillerie, intervenait parfois pour poser une question ou remettre gentiment l’un de ses barons à sa place quand il dépassait la mesure ou s’enhardissait à conter une blague licencieuse.
    Assise aux côtés de don Manuel, non loin de la souveraine, Isabeau n’en revenait pas qu’ils soient tous deux acceptés dans ce cénacle très privé. Curieuse, elle se pencha vers son maître :
    — Par quel miracle sommes-nous ici ?
    La voix énergique d’Isabelle de Castille répondit à sa question :
    — Mon cher cousin, vous vous faites rare. Cela fait plusieurs mois que nous n’avons pas eu le plaisir de votre visite. Ma personne vous est-elle à ce point indifférente ?
    — Je reviens d’un long voyage dans les marches du Saint Empire germanique, Votre Altesse.
    Sa compagne le regarda bouche bée. Impavide, aussi à l’aise que dans l’antre des brigands, son protecteur s’était levé pour s’incliner avec déférence devant sa souveraine.
    — Il paraît que vous avez des objets rares en votre possession ?
    — C’est exact, ma chère cousine. Vous êtes toujours aussi bien renseignée.
    — Alors approchez et montrez-moi vos trésors.
    Soulevant sa besace posée à ses pieds, l’hidalgo déplaça son tabouret qu’il installa près de sa parente. Il ouvrit son sac et en sortit un livre très ancien qu’il tendit à la reine. Elle s’en empara et se mit à le feuilleter avec précaution. En contemplant les enluminures exceptionnelles, un sourire d’émerveillement éclaira son visage.
    — Magnifique ! Comment ce psautier du X e  siècle, que je croyais enfermé dans un monastère de l’Athos, est-il entré en votre possession ?
    — Hélas ! Madame, quand les Arabes ont envahi la Grèce, les moines ont fui vers l’Italie en emportant une partie des cadeaux que les empereurs byzantins avaient offerts aux monastères du mont Athos. Malheureusement, les Maures installés en Sicile ont dans le même temps progressé vers le nord de l’Italie. En ce moment, ils sont bloqués par les Francs et les Germains au sud d’une ligne Gênes-Venise. C’est dans cette ville frontière, où se sont réfugiés nombre de popes venus des laures, que j’ai pu acquérir ce manuscrit.
    — Remercions le Seigneur qui vous a permis de récupérer ce trésor, mon ami. D’après vos observations, croyez-vous que les armées chrétiennes parviendront à conserver ces cités dans leur giron ?
    — Selon mes sources, le sultan de Constantinople Bayezid II est très intéressé par l’Égypte. Les Arabes ont donc d’autres soucis que de s’emparer de Venise ou de partir à la conquête de l’Helvétie et du Saint Empire germanique.
    — Bien ! Nous ne serions pas en mesure en ce moment de secourir nos alliés. Nous avons d’autres priorités, Grenade, puis de l’autre côté du détroit, les royaumes berbères qui sont pour nous un danger permanent.
    D’un geste doux, elle referma le livre posé sur ses genoux et le tendit à l’une de ses dames de compagnie. Son interlocuteur lui en offrit un autre, dont la reliure en argent sculpté brillait de mille feux. Elle le feuilleta et s’attarda sur une peinture aux couleurs vives qui représentait l’un des évangélistes. Assis sur un grand tabouret recouvert d’un coussin rouge, il écrivait ses mémoires.
    — Ce tetraévangile est postérieur de deux siècles au manuscrit précédent. L’avez-vous acquis au même endroit ?
    — Non. Je l’ai acheté à un chef de bande qui vit dans les grottes d’Olvera. D’après ce qu’il m’a dit, il avait dévalisé, et sans doute tué, des pèlerins francs sur le chemin de Compostelle.
    À la grande surprise d’Isabeau, la souveraine posa sa main sur l’épaule droite de Manuel et murmura d’un ton compatissant :
    — Mon cousin, je comprends votre humeur et j’entends vos reproches, bien que vous ne les profériez pas ouvertement. Je connais parfaitement la situation, et je n’ai rien oublié de vos précédents rapports sur les

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