Le Manuscrit de Grenade
dans leur quête. Je lui ai sauvé la vie deux fois, il n’a aucune raison de se méfier de moi. Quand nous aurons trouvé le manuscrit, je vous contacterai.
Inquiet, il attendit la réaction d’Alonso qui réfléchissait les yeux mi-clos.
— Je m’incline, dit-il enfin. Vous êtes le seul à pouvoir les accompagner. Nous allons nous installer au caravansérail. Quand vous aurez trouvé le parchemin, prévenez-nous. La très Sainte Inquisition voudra le lire. Mais attention ! Il ne doit en aucun cas tomber dans les mains des Maures. Si c’est nécessaire, détruisez-le.
L’espion royal s’inclina en signe de soumission. Oubliant qu’ils se trouvaient à Grenade en territoire ennemi, le prélat le bénit puis s’éloigna rapidement suivi par Koldo. Ravalant un fou rire, don Manuel se précipita vers la sortie nord des arènes pour y attendre les chasseurs de trésor.
Dans le ciel mordoré du soleil couchant, un vent léger s’était levé.
Sous un dais de soie blanche, la sultane mère et son fils trônaient sur des fauteuils étincelants de pierres précieuses. L’atmosphère était curieuse, un mélange de fébrilité, de crainte, d’excitation malsaine. Myrin semblait si étonnée que leur voisin immédiat, un marchand bedonnant et jovial lui demanda :
— Vous n’êtes pas d’ici ?
— Nous avons profité de la trêve pour rendre visite à notre famille. Ma tante nous a parlé de ce combat et s’est arrangée pour que nous puissions y assister.
Un gloussement de connivence accueillit cette confidence. Pour entrer sans billet, il fallait avoir des appuis haut placés et de l’argent pour étancher la soif de certaines personnes.
— Vous avez de la chance ! Notre bien-aimé Seigneur a décidé d’offrir à son peuple un grand spectacle. Les prisonniers des derniers combats seront livrés au taureau et au lion, histoire de réveiller leurs appétits et leur rivalité.
Cette révélation fit sursauter la jeune femme. Boabdil était l’allié, ou plutôt le vassal des Rois Catholiques. Les condamnés ne pouvaient être que des musulmans. Elle n’osa pas demander le nom du bourg vaincu par la coalition entre chrétiens et Grenadins. Prudente, elle émit un oh ! de surprise, en espérant que sa réaction passerait inaperçue. Mais son voisin ne l’écoutait plus. Le sultan venait de lever le bras. La fête allait commencer.
Au sud, en face de la loge royale, une porte s’ouvrit et un troupeau de pauvres gens s’avança vers le centre de l’arène. Il y avait peu d’hommes, les guerriers étant morts au combat, surtout des femmes et des enfants qui pleuraient blottis contre leurs mères. Myrin horrifiée se serra contre Pedro, en retenant ses larmes. À côté d’elle, Isabeau respirait bruyamment.
À l’est et à l’ouest, deux ventaux de bois grincèrent sur leurs gonds. Le premier libéra un taureau vif et hargneux qui, aussitôt entré, se mit à piaffer. C’était une bête magnifique, musclée et nerveuse, dont les pattes antérieures frappaient le sol avec vigueur.
À l’opposé, le roi des animaux, fidèle à sa légende, s’avança nonchalamment. Il s’arrêta sur le bord de la piste, s’étira comme un gros chat, bâilla, parcourut d’un regard dédaigneux les proies immobiles. Soudain son œil fut attiré par les gesticulations hostiles du taureau.
Quand l’animal jaillit comme une flèche pour se jeter sur les prisonniers, le lion ne bougea pas, se contentant de surveiller son compère. Le bétail humain s’éparpilla, mais quelques enfants et quelques femmes furent piétinés. Ce succès rendit le taureau ivre de rage. Il revint à la charge et avec ses cornes, s’acharna sur les corps blessés qui furent bientôt réduits en bouillie sanguinolente. Chaque assaut était accompagné par les cris d’encouragements de la foule.
Le vacarme, les hurlements, l’odeur du sang finirent par avoir raison de la nonchalance du fauve. Un feulement sourd annonça son entrée en scène, feulement suivi de grondements rauques puis de rugissements affamés. En quelques bonds, il s’attaqua aux personnes encore debout. Coups de pattes griffues, gueule béante aux crocs ensanglantés, il sautait, tournait sur lui-même, boulait puis retombait sur ses pattes pour saisir un autre prisonnier à la gorge, aux jambes, au ventre. Il déchiquetait ses proies, puis s’en débarrassait en les jetant dans les airs. Elles retombaient sur le sable comme des pantins de
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