Le marchand de mort
mains de Colum.
— Le passé peut être tragique, dit-elle doucement, et il ne passe jamais tout à fait. Il demeure comme une ombre proche, derrière nous. Quelquefois, il nous rattrape, et nous sommes prisonniers de son étreinte sombre. Il ne faut pas que cela nous arrive à nous.
Colum se pencha et embrassa doucement la jeune femme sur les lèvres. Kathryn rougit et recula.
— Voilà un secret de moins, murmura-t-elle, montrant le lit.
— Et l’affaire du Vannier ?
Kathryn prit une profonde inspiration et gagna la porte d’un pas brusque. Elle s’immobilisa, la main sur le loquet.
— Que Dieu me soit témoin, Irlandais, je ne sais rien, sinon que certains mystères ne sont jamais élucidés.
CHAPITRE XI
Ils rentrèrent à la maison. Thomasina tenait le repas prêt et Kathryn mangea en silence, encore bouleversée par la mort de Blunt et celle d’Emma Darryl. Elle se jurait d’aller voir le père Cuthbert afin que Peter demeure entre des mains charitables tant que l’héritage auquel le simple d’esprit pourrait avoir droit ne serait pas réglé. Colum mangea rapidement et monta dans sa chambre ; il voyait bien que Kathryn était perdue dans ses pensées, aussi cachait-il sous une bonne humeur apparente combien lui aussi était déçu et frustré. Il réfléchissait déjà à ce qu’il écrirait à l’Échiquier à Londres, au sujet des meurtres d’Erpingham et de Vavasour.
Dehors, la nuit commençait à tomber, mais Wuf insista pour jouer dans le jardin, et Kathryn distraitement le laissa faire. Pendant que Thomasina et Agnes débarrassaient la table, elle regagna son cabinet d’écriture. Là, elle alluma une lanterne et quelques bougies, prépara un parchemin et une plume et entreprit de consigner ses pensées et ses doutes sur le meurtre d’Erpingham et la mort mystérieuse de Vavasour. Kathryn mordillait le bout de sa plume. Qu’avait-elle trouvé d’anormal dans la chambre de Vavasour ? Elle entendit alors Wuf hurler de rire dans le jardin, et, s’emparant de la lanterne, elle sortit pour voir ce qu’il en était. Au bord du petit bassin de carpes, le garçonnet faisait glisser son disque en bois en travers de la surface glacée, puis il contournait le bassin en courant pour le récupérer. Il ne risquait rien, aussi Kathryn resta à l’observer un moment.
Wuf lui cria :
— La glace va bientôt craquer !
En souriant, Kathryn s’approcha. Wuf envoya le disque sur le bassin ; certes, avec le dégel, la glace se fissurait. Kathryn posa la lanterne au bord de la pièce d’eau pour que Wuf y voie mieux.
— Tôt ou tard, tôt ou tard, elle va se rompre, chantonnait le gamin comme un refrain.
— Wuf ! cria Thomasina depuis la cuisine. Viens nous aider !
Le garçonnet interrogea Kathryn du regard.
— Vas-y, Wuf.
Elle le conduisit par la main jusqu’à la porte de la cuisine où l’enfant s’engouffra. Kathryn retourna chercher la lanterne et s’immobilisa brusquement. Elle voyait la lumière et le disque en bois, et son coeur fit un bond.
— Bien sûr ! souffla-t-elle. Tout s’explique !
Elle fixa la lanterne. La mort de Vavasour avait constitué un véritable mystère. Personne n’avait quitté l’auberge, pourtant quelqu’un devait attendre, près de la retenue d’eau, l’arrivée du secrétaire d’Erpingham. Mais comment cette personne avait-elle survécu quand Vavasour s’était noyé dans l’eau glacée ? Kathryn emprunta d’un pas maladroit l’allée du jardin, ramassa la lanterne et le disque en bois avant de regagner rapidement la cuisine. Sans prêter attention au regard inquisiteur de Thomasina, ni à Wuf qui réclamait son jouet, elle retourna dans son cabinet d’écriture. Là, avec sa plume, elle dessina un plan grossier du Grand Champ, indiquant par une croix l’endroit où Raston avait vu vaciller la lumière qui invitait Vavasour à avancer jusqu’à l’étang. Elle posa ensuite sa plume et, s’adossant à son siège, décrispa ses doigts.
— Si c’est ainsi que l’on a procédé, murmura-t-elle pour elle-même, la question suivante est : qui avait les moyens de tendre un piège pareil ?
Elle sortit la liste des gens installés au Vannier.
— Je ne vois qu’une conclusion, chuchota-t-elle encore, mais comment explique-t-elle la mort d’Erpingham ?
Elle pensa de nouveau aux sinistres ossements retrouvés sous le plancher : de quelle manière avaient-ils provoqué le cauchemar
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