Le marchand de mort
d’Erpingham ?
Kathryn prit le vieux manuscrit de son père. Il était délabré, taché de gras, et ses feuilles étaient écornées pour avoir été trop souvent tournées. Il contenait la liste de tous les poisons recensés. Le père de Kathryn l’avait rempli à différentes époques de sa vie, et l’encre était passée, si bien que Kathryn eut du mal à trouver la page où était mentionnée la belladone. En en déchiffrant le nom, elle eut un triste sourire, et poursuivit sa lecture.
« C’est une plante de haute taille, avait écrit son père, qui résiste parfois à l’hiver, et porte de nombreuses tiges ramifiées. Ses fleurs pourpres, isolées, retombent, et parfois elles peuvent être d’un violet criard ou tirant sur le vert. Ses fruits, des baies noires et brillantes, sont très dangereux pour les enfants et les imprudents. On obtient le poison en distillant les feuilles ou les racines fraîches ou séchées, mais en vérité toute la plante est vénéneuse. Néanmoins, elle est très utile pour soigner les mauvaises humeurs du ventre, mais elle peut provoquer de graves empoisonnements, même absorbée en petites quantités. »
Sa lecture achevée, Kathryn s’apprêtait à fermer le manuscrit quand elle repéra un autre nom de plante, écrit avec une encre pratiquement décolorée, et qui était griffonné dans la marge. Elle approcha la lanterne ; même avec un meilleur éclairage, l’écriture demeurait illisible. La jeune femme prit une loupe dans un petit coffre et se pencha de nouveau sur le manuscrit. Son père avait écrit en abrégé, mais Kathryn, tout excitée, pouvait déchiffrer les lettres, à présent. Elle posa sa loupe et, se calant contre le dossier de son siège, referma le manuscrit.
— Merci, murmura-t-elle.
Ce simple nom avait aidé à élucider l’un des mystères.
— Tu en sais moins que tu ne le crois, Swinbrooke. Il est peut-être temps que tu relises les cahiers personnels de ton père.
Elle ferma les yeux pour tenter de se rappeler les détails de la mort d’Erpingham. Le collecteur d’impôts avait mangé et bu la même chose que les autres clients. Il avait monté son gobelet de vin dans sa chambre dont il avait fermé la porte à clé puis il avait tiré le verrou. Personne n’était venu le voir sauf Standon pour s’assurer que son maître allait bien.
— Mais il n’a pas vérifié l’argent des impôts, murmura Kathryn, rouvrant les yeux. Ses vêtements étaient jetés en tas, et on n’a pas retrouvé de poison dans sa chambre. Comment ce meurtre a-t-il été perpétré ?
Elle commençait à se douter de l’identité de l’assassin. Mais comment avait-il agi ? Refermant les yeux, elle songea à Vavasour, sa chambre, les pièces d’argent sur le sol.
— Kathryn ?
La jeune femme ouvrit les paupières. Colum se tenait sur le seuil de la porte, la regardant avec une expression étrange.
— Vous êtes trop silencieux en marchant, Irlandais.
Colum prit un tabouret à côté du bureau de Kathryn, notant comme ses joues étaient légèrement empourprées, et combien ses yeux brillaient.
— Vous avez découvert quelque chose, n’est-ce pas ? demanda-t-il vivement. Il saisit sa main et la pressa.
— Je savais bien que vous trouveriez, ô savant médecin.
Kathryn expliqua, choisissant ses mots :
— Je sais peut-être comment est mort Vavasour. On l’a attiré vers sa mort, mais pour l’instant, ce n’est pas important.
— Qu’est-ce qui l’est, alors ?
— Les détails qui entourent la mort d’Erpingham.
Kathryn tapota le manuscrit de son père.
— J’ai découvert qu’il y avait eu deux tentatives de meurtre sur Erpingham.
— Deux ! s’exclama Colum.
— Oui. Je viens de lire le registre des poisons que tenait mon père. La mortelle belle-dame est bien nommée. Elle provoque la mort très rapidement. La victime tombe dans un sommeil lourd, et s’éteint.
Kathryn tapota de nouveau le manuscrit.
— Mais quelques grains de ce poison ont un effet différent : ils ne tuent pas, mais provoquent des délires, des hallucinations et des cauchemars.
— On a donc donné du poison deux fois à Erpingham ?
— En effet. Réfléchissons : cet homme, sans foi ni loi dort dans une chambre où, d’après la légende, un de ses ancêtres, un adorateur du diable, est mort. Erpingham devait y penser, peut-être même s’en délecter. Cependant, la nuit qui précéda sa mort, on lui avait donné
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