Le marchand de mort
arrivé. Blunt est rentré chez lui et a découvert Alisoun et ses deux soupirants empoisonnés. Pour protéger Emma Darryl, il a pris son arc et a tiré une flèche dans chacun des corps. Et, pour plus de crédibilité, il a ouvert une fenêtre, a sans doute attendu que passe quelqu’un comme la veuve Gumple et a jeté le corps de Nicholas.
— Vous pouvez conclure cela rien qu’avec ces blessures par flèches ? s’étonna Colum.
— Oui, car elles sont bien trop profondes. N’oubliez pas que le solar était sombre chez Blunt. Un maître archer jeune aurait pu tirer trois flèches mortelles. S’il avait été en bonne santé, Blunt l’aurait peut-être pu aussi, mais pas avec sa mauvaise vue, ni sa toux qui le secouait.
— Pourquoi ne nous avoir rien dit ? fit Colum, accusateur.
Kathryn s’immobilisa et fixa les grosses chandelles de glace qui se formaient sous le porche d’une imposante maison.
— Comment l’aurais-je pu ? souffla-t-elle. Quand j’ai rendu visite à Blunt dans sa cellule, il était mourant. C’est pourquoi il avait demandé à me voir. Il n’était pas idiot. Il savait qu’on me demanderait d’examiner les corps. Certes, la lumière était chiche, mais la peau des cadavres, leur consistance molle et une légère décoloration m’ont fait réfléchir.
Elle secoua l’eau de son manteau.
— Les blessures sont si profondes, si nettes que seul un maître archer tirant de près pouvait les avoir causées. L’homme que nous avons vu dans le cachot du Guildhall, avec ses yeux larmoyants et sa toux violente, en était incapable.
Kathryn passa la langue sur ses lèvres.
— Ni Emma ni Peter n’en étaient capables non plus, et j’en ai déduit qu’Emma avait tué les trois coquins avant le retour de Blunt.
— À présent, vous avezl’intention de la confondre ?
Kathryn secoua la tête.
— Non, je veux sauver Peter. Dieu nous protège ! J’espère ne pas arriver trop tard.
Ils coupèrent par une venelle jusqu’à la maison de Blunt. Kathryn avait l’estomac noué, et ses mains tremblaient légèrement quand elle tambourina à la porte. Avec un soupir de soulagement, elle entendit des pas pesants, puis on tira les loquets et la porte s’ouvrit. Peter se tenait sur le seuil et leur sourit.
— Peter, s’écria Kathryn en le poussant sur le côté, vous allez bien ?
— J’ai faim, répliqua le jeune homme, et Emma devrait préparer le souper, mais elle dort encore.
Kathryn l’écarta pour se précipiter dans l’escalier jusqu’à la seconde galerie, Colum et Luberon sur ses talons. Elle vit une porte entrouverte et pénétra dans la chambre. Emma Darryl était étendue sur le lit, les bras le long du corps, les yeux grands ouverts fixés sur le ciel de lit. Kathryn s’assit et lui prit la main. Elle sentit un soupçon de chaleur, mais le pouls ne battait ni au cou ni au poignet. La jeune femme appuya son oreille sur l’épaisse robe de laine : elle ne perçut aucun battement de coeur. Elle promena son regard dans la chambre comme Colum et Luberon y pénétraient en trombe, et indiqua une petite assiette d’argent posée sur un coffre cerclé de fer.
— Colum, donnez-la-moi, vite !
L’Irlandais obéit. Kathryn essuya l’assiette avec sa manche et la tint aussi près que possible des lèvres d’Emma. Elle l’éloigna ensuite et fit le signe de la croix.
— Elle est morte ? demanda Colum.
— Oui, que Dieu ait son âme. Maître Luberon, demandez à Peter de ne pas monter.
Luberon sortit sur la galerie et Kathryn l’entendit parler doucement, puis il reparut et ferma la porte sur lui. La jeune femme regarda Murtagh.
— Nous avons tous nos secrets, n’est-ce pas, Irlandais ?
Colum, qui n’avait pas oublié sa conversation avec le père Cuthbert, hocha imperceptiblement la tête.
— Vous, Maître Luberon, connaissez le mien, poursuivit Kathryn. Je me demande toujours si mon mari est réellement mort ou s’il reparaîtra un jour.
Kathryn caressa doucement la main de la défunte.
— Eh bien, Emma Darryl avait ses secrets. La jeune femme fixa Colum pour continuer :
— Elle portait une passion dévorante à Richard Blunt et ils eurent un enfant, un garçon prénommé Peter, mais ils ne se marièrent jamais. Blunt, comme nous l’appelons même si ce n’est pas son nom de baptême, eut trois grandes chances : d’abord il eut du talent en tant qu’archer, ensuite comme peintre et, enfin, il eut sa fidèle Emma.
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