Le Maréchal Berthier
plus bas quelques mois auparavant. Et sa satisfaction atteignit son comble lorsque éclata la nouvelle que, lassés d'être gouvernés par des souverains fantômes, ses anciens sujets s'étaient jetés dans les bras de la Confédération Helvétique, ne laissant au roi de Prusse qu'un titre sans base réelle.
Cependant, venant d'Angleterre, Louis XVIII avait débarqué en France. Apprenant qu'il comptait se reposer quelques jours à Compiègne, les représentants de l'autorité décidèrent de se porter à sa rencontre. Bien entendu, les maréchaux firent comme les autres et, une fois de plus, demandèrent à Berthier de prendre leur tête. Celui-ci accepta sans aucun enthousiasme. Il connaissait Louis XVIII et se demandait quel accueil celui-ci lui réserverait. Il ne pouvait oublier que si le comte de Provence (le futur Louis XVIII) avait eu comme femme de chambre, titre purement honorifique, la mère du maréchal sous l'ancien régime, pendant le Consulat et l'Empire, celui qui n'était alors que le prétendant avait à plusieurs reprises fait approcher Alexandre par son agent, le libraire suisse Fauche-Borel. Or, à ce moment, Berthier qui considérait le retour des Bourbons comme relevant du domaine de la chimère n'avait donné aucune suite à ces ouvertures. Et il savait le roi terriblement rancunier !
Pourtant, tout se passa le mieux du monde et Berthier put dans un premier temps constater que ses craintes étaient infondées. Le roi était dans une position assez incertaine et l'avait parfaitement compris. Ayant récupéré son trône avec l'appui d'une coalition étrangère, inconnu de beaucoup de ses sujets, gros, podagre, infirme, presque un vieillard accepté avec une certaine méfiance par les dirigeants issus de la Révolution et de l'Empire, il n'avait pour réel soutien que les milieux royalistes fort clairsemés. C'était peu. Il avait besoin de s'appuyer, au moins au départ, sur une institution solide, en l'occurrence l'armée. Fort habilement, il décida de tout faire pour se concilier ses chefs. Aussi, son accueil pour les maréchaux fut-il on ne peut plus chaleureux. Il goûta, dit-il, le discours de Berthier, daigna rappeler à celui-ci qu'ils étaient de vieilles connaissances, fut l'amabilité même avec ses camarades et s'entretint longtemps avec eux, dédaignant ses courtisans habituels, fidèles compagnons d'exil. Il leur demanda de ne pas s'éloigner et de revenir le voir le lendemain. Ce jour-là, il les invita à dîner. Au cours de ce repas, se produisit l'entorse au protocole qui choqua les courtisans à cheval sur l'étiquette mais amusa fort le roi. À table, il dit : « Messieurs les maréchaux je vous envoie du vermouth et je bois à votre santé et à celle de l'armée. »
C'était une faveur fort rare. Mais, ne sachant pas ce que prévoyait l'étiquette dans ce cas, les maréchaux se levèrent ensemble et burent à la santé du roi alors qu'ils auraient dû demander la permission de lever leur verre et crier « Vive le roi ! » Berthier agit exactement comme ses camarades. Ignorait-il cet usage ? L'avait-il oublié ? Ou simplement ne voulait-il pas se singulariser ? Toujours est-il que les courtisans indignés l'enveloppèrent dans le même mépris que les autres.
Mais, lorsqu'ils rentrèrent à Paris, le 1 er mai, les maréchaux séduits et charmés étaient devenus de fervents royalistes, ce qui était assez piquant de la part de ces fils de la Révolution. L'opération « séduction » du roi avait pleinement réussi au-delà de toute espérance, et si Berthier, pour sa part, conservait quelques doutes sur la sincérité du monarque, il eut la sagesse de les conserver par-devers lui. D'ailleurs, la faveur royale ne s'arrêta pas là. Pour l'entrée solennelle du souverain, les maréchaux occupèrent des places d'honneur dans le cortège, caracolant devant et autour du carrosse du roi. Ce brutal revirement d'opinion n'eut pas la faveur du public. La population qui, quelques jours auparavant, avait conspué Napoléon couvrit ces soldats de quolibets et sur le passage de Berthier il y eut quelques cris d'« À l'île d'Elbe ! » au milieu des « Vive le roi ! »
Dans les semaines qui suivirent, alternèrent des nouvelles bonnes ou désagréables. Tout d'abord, le 10 mai, le ministre de la Guerre informa courtoisement Berthier que l'état-major qui séjournait toujours à Chartres se trouvait supprimé par le roi à partir du 15. Pour déplaisante qu'elle fût, cette
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