Le Maréchal Berthier
lança un jour : « Alors, Berthier, par l'effet de la Révolution, vous voilà autant que moi ! »
Le prince de Poix eût sans doute été plus avisé de se taire car le plus amusant, dans cette histoire, était que, d'une part, le frère dudit prince avait fait la campagne d'Amérique aux côtés de Berthier et que, d'autre part, son neveu s'était livré à un certain nombre de bassesses pour être accepté par le maréchal comme aide de camp. Ce fut dans ces fonctions qu'il avait été tué à la Bérézina.
Mais le plus pénible vint sans doute des rapports entre le maréchal et le roi. Celui-ci, les premières effusions passées, ne cacha pas qu'il n'aimait pas Berthier qui, à ses yeux, avait l'immense tort d'avoir trop bien servi Napoléon. Il doutait, sans aucune raison valable, de sa fidélité et se demandait si, en acceptant ce poste de capitaine des gardes du corps, Berthier n'avait pas simplement obéi à un ordre de l'empereur qui aurait ainsi introduit un espion dans la place.
Le roi eut un comportement des plus étonnants, dans une affaire qui survint au cours de l'été 1814. Au mois d'août, il convoqua le maréchal Marmont et le duc de Blacas, son favori, et leur annonça qu'il venait d'être averti par la police que Berthier avait reçu, quelques jours plus tôt, une lettre de l'île d'Elbe où résidait Napoléon et que celui-ci n'en avait parlé à personne. Il demanda à ses visiteurs d'aller trouver le prince de Wagram, de lui demander des explications et, si elles ne les satisfaisaient pas, de l'arrêter sur-le-champ. Comble de l'ironie, il ajouta qu'en choisissant Marmont, « doublement son camarade », la mesure lui serait moins pénible ! Le duc de Raguse n'eut pas le courage de refuser cette honteuse mission. Mais la stupéfaction des deux envoyés ne connut pas de bornes lorsque Berthier interrogé leur déclara qu'il avait bien reçu une lettre du général Bertrand, grand maréchal du palais, qui lui demandait de lui envoyer des livres mais qu'avant de s'exécuter, il avait sollicité l'autorisation du roi ! Fort penauds, les deux messagers revinrent aux Tuileries. Le souverain reconnut avoir eu cette conversation avec Berthier mais ne songea même pas à s'en excuser. C'est du moins la version des faits, rapportée par Marmont dans ses Mémoires . Suivant une autre encore moins crédible, Berthier aurait simplement reconnu avoir reçu la lettre et n'en avoir rien dit. Il est douteux que, dans ce cas, le roi l'eût maintenu à la tête de sa compagnie. Quoi qu'il en soit, il continua à faire grise mine au prince de Wagram tout en dissimulant ses sentiments sous une politesse affectée. Mais comme, sur ce terrain-là, Berthier était au moins aussi fort que lui et que, de par les fonctions du maréchal, les deux hommes étaient en contact permanent, il fallait connaître toutes les finesses de la vie de cour pour discerner l'hostilité que cachaient leurs rapports. Et si Berthier, que le roi aurait vu abandonner sa charge sans déplaisir, s'en garda bien, c'était afin de ne pas décevoir sa femme. Dosant savamment cadeaux et blâmes, car il pouvait un jour avoir réellement besoin de lui, le roi le fit commandeur de l'ordre de Saint-Louis en septembre 1814, car il en était chevalier depuis… 1788. En juin, il avait été nommé pair de France et, même s'il avait perdu ses titres de grand veneur et de vice-connétable, il conservait une position de premier plan.
Le maréchal eut la joie d'être père pour la troisième fois, en février 1815. Sa femme mit au monde une seconde fille, Anna, qui causa beaucoup plus tard des soucis à sa mère. Pour les relevailles de sa femme, Berthier donna un grand bal auquel se pressèrent mais évidemment sans se mélanger la noblesse royale et celle d'Empire. Ce fut néanmoins un succès.
Aussitôt après, la princesse fatiguée par ses couches partit se reposer auprès de ses parents à Bamberg en compagnie de ses enfants. Le voyage à lui seul était fort éprouvant surtout pour un tout jeune bébé ; et étant donné les événements qui allaient suivre, un certain nombre de personnes devaient un peu plus tard se demander si Berthier ne l'aurait pas incitée à partir parce qu'il était au courant des projets de l'empereur, ce qui l'aurait amené à prendre des mesures de sécurité. Mais alors il se serait abstenu pour des raisons obscures d'en avertir le roi.
Un deuxième fait qui a donné lieu à des explications embarrassées est
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