Le Maréchal Berthier
venu en quelque sorte corroborer le premier. La comtesse Visconti était demeurée à Paris. La princesse à peine partie, elle fit appeler son amant et lui remit comme viatique « pour un futur voyage », tous ses bijoux. Pour l'en remercier et parce qu'il savait que c'était là le plus gros de sa fortune, Alexandre lui constitua sur-le-champ une rente viagère de 20 000 francs or (3 850 euros) payable par lui et ses héritiers. Or l'acte régularisant la donation est daté du 1 er mars, jour du débarquement de Napoléon à Golfe-Juan. Et la nouvelle n'arriva à Paris que le 5, car le télégraphe s'arrêtait encore à Lyon. Embarrassée, la famille de Berthier expliqua plus tard que pour répondre à un souhait du maréchal son notaire qui l'avait rédigé avait antidaté le document et que les fonctionnaires de l'enregistrement avaient fermé les yeux sur cette irrégularité.
La chose est peu crédible. Quelle qu'ait pu être sa complaisance, il est difficilement croyable qu'un notaire ait accepté de falsifier une pièce authentique ! En réalité, il est fort possible que, sans être au courant des détails de l'opération, Berthier ait été informé des projets de Napoléon. Il était pris entre son serment de fidélité au roi et ce qu'il pouvait considérer comme l'amitié de l'empereur. Croyait-il même au succès de la tentative ? En raisonnant froidement, elle avait fort peu de chances de réussir et du reste seule une série de circonstances malheureuses en assura le succès. Matériellement, Berthier savait que Napoléon, quoi qu'il fît, n'aurait pas la moindre chance de triompher de la coalition et cette considération, plus que toute autre, l'incita sans doute à demeurer sur la réserve. Et puis, autre argument en faveur d'une attitude neutre, il avait été informé que le roi qui, au moment de son arrivée en France, s'était engagé à verser deux millions de rentes par an à l'empereur, ne semblait plus disposé à remplir ses obligations. Il semble tout de même que Louis XVIII et quelques personnes de son entourage le plus proche aient été tenus au courant des informations qu'aurait reçues Berthier, car au cours de son bref séjour à Gand auprès du souverain il y fut fait allusion mais d'une manière indirecte. Il n'en existait en effet aucune preuve matérielle, et c'était plutôt son comportement vis-à-vis de sa femme et de sa maîtresse qui aurait attiré l'attention. Pour le reste, fidèle à son serment au roi, il n'allait pas un instant songer à se dérober à ses obligations.
Entre l'annonce du débarquement de Napoléon, qui n'arriva à Paris que le 5 mars, et le départ du roi, 15 jours s'écoulèrent. Le gouvernement ne s'émut pas excessivement en apprenant la nouvelle, et lorsque la résistance s'organisa, personne ne songea à faire appel à Berthier comme chef d'état-major pour coordonner celle-ci, ce qui eût peut-être été la sagesse. Mais de son côté le maréchal, qui s'il voulait bien servir n'avait pas l'intention de faire du zèle, ne jugea pas utile d'offrir ses services, laissant ses camarades Gouvion-Saint-Cyr, Macdonald et Ney résoudre le problème comme ils l'entendraient. Il se contenta de continuer à jouer son rôle de capitaine d'une compagnie de gardes du corps. Le 11 mars, il eut le plaisir d'apprendre que le ministre de la Guerre, le maréchal Soult, avec qui il avait toujours des rapports plutôt froids, était remplacé par son vieil ami le général Clarke et, dès ce moment, il pensa que le roi lui confierait peut-être une fonction plus active que celle qu'il remplissait pour l'heure, mais les événements allaient se précipiter. Il put alors constater, peut-être avec une secrète satisfaction, que la plus grande confusion régnait dans l'organisation de la défense du royaume.
Ce fut Marmont qui, avec l'approbation de Berthier, offrit une solution qui avait le mérite de reposer sur des bases concrètes. Il proposa de transformer les Tuileries en une citadelle, de l'approvisionner en vivres et en munitions et de lui donner pour garnison la maison du roi qui certes ne savait pas très bien manoeuvrer sur le terrain mais défendrait parfaitement une position forte, d'autant que tous ces gentilshommes chasseurs étaient excellents tireurs. Installer des canons serait facile, et si l'imposteur parvenait jusqu'à Paris, avoir le roi au milieu de ses fidèles à proximité de lui-même serait pour lui une source d'embarras extrême et
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