Le Maréchal Berthier
beaucoup de policiers allemands, le commissaire Schauer qualifiant sa mission de « noble tâche » se crut obligé de faire du zèle. En fait de surveillance discrète, il déploya toutes ses forces de police autour du château si bien qu'en un rien de temps la ville de Bamberg fut au courant et que Berthier, à supposer qu'il ait entretenu la moindre illusion, comprit qu'il était prisonnier. Un captif de luxe mais qui n'en devait pas moins demeurer dans sa résidence. Furieux de son côté de cet espionnage qu'il jugeait intempestif, le duc s'en plaignit au comte de Montgelas qui par une note fort sèche pria l'argousin en chef de faire montre d'un peu plus de retenue.
Puisqu'il ne pouvait ouvertement mettre à exécution son projet de retourner en France, le prince de Wagram, tout en demeurant fidèle au roi, voulut distendre les liens qui le rattachaient à ce prince. Il lui offrit donc sa démission de capitaine de sa compagnie de gardes du corps, titre qui, dans le moment, ne correspondait plus à grand-chose. Mais Louis XVIII qui devinait quels scrupules agitaient Berthier n'était nullement pressé de lui donner satisfaction. Pour hâter cette décision, Berthier écrivit à son ami Clarke qui jouait le rôle de ministre de la Guerre dans le cabinet fantôme que le roi entretenait à Gand. Fort habilement, il mit en avant un état de santé vrai ou supposé tel : « Je suis très souffrant de la goutte. Les affections morales toujours agissent sur cette maladie. Je suis vieux, très fatigué et hors de service », écrivait-il, et plus loin : « L'état de ma santé me force à la retraite de toutes les fonctions militaires et civiles. »
Or, dans le même temps, il mettait sur pied une manoeuvre assez machiavélique, destinée à lui permettre de se libérer des liens qui le retenaient à Bamberg, car il avait de plus en plus de mal à supporter cette captivité déguisée d'autant qu'en le retenant les Autrichiens faisaient preuve de la plus totale mauvaise foi. Il demanda donc pour sa femme et ses enfants un laissez-passer aux autorités bavaroises pour leur permettre de rentrer en France, lui, bien entendu, restant sur place. Mais son intention était, dès qu'Élisabeth lui ferait savoir qu'elle avait passé la frontière, de s'évader sans solliciter aucun document pour cela. À francs étriers il gagnerait la France. Une fois là-bas, qu'y ferait-il ? Se retirerait-il dans ses terres ainsi qu'il en avait exprimé l'intention ? Irait-il se mettre au service de l'empereur même s'il jugeait sa cause désespérée ? Il n'a laissé aucun document à ce sujet. Mais il pensait sans doute qu'en tout état de cause en agissant de la sorte il couperait court à toute calomnie visant à l'accuser d'avoir tranquillement attendu la chute de Napoléon dans le confort d'un château situé en territoire ennemi.
Les autorités bavaroises ne voyant aucun motif pour refuser le laissez-passer à la princesse le délivrèrent et au soir du 30 avril, accompagnée de ses enfants et de leur gouvernante, elle monta en voiture. Or à la stupeur générale on la vit revenir le lendemain. Lors d'un contrôle de routine à Stockach le général prince de Hohenzollern commandant les troupes qui y séjournaient, averti on ne sait comment de son passage, avait tenu à venir la saluer en personne… et à vérifier la validité de son passeport. Celui-ci, bien entendu, ne portait pas le visa du commandant en chef autrichien prince de Schwarzenberg et, du coup, Hohenzollern avait courtoisement prié la voyageuse de faire demi-tour. Il est d'ailleurs permis de se demander si les autorités bavaroises en délivrant ce document dont elles savaient qu'il ne serait pas reconnu par les Autrichiens n'avaient pas joué au jeu du chat et de la souris !
Comble de l'ironie, encore qu'il n'y eut sans doute aucun rapport à ce moment entre la cour de Gand et celle de Munich, un peu moins d'un mois plus tard Louis XVIII ayant cédé aux pressions de certaines personnes de son entourage, en particulier de Clarke, Berthier apprit que sa démission était acceptée ! Mais l'échec de sa tentative de retour en France avait brusquement altéré son caractère. En quelques jours il devint taciturne, méfiant, coléreux, demeurant prostré pendant des heures, se rongeant plus que jamais les ongles et répondant à peine aux paroles de sa femme que son état tant physique que moral commençait sérieusement à alarmer. Puis il se mit à boire. Il
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