Le Maréchal Berthier
ministère que je n'avais pas sollicité. »
Or, pour cette tâche immense, il ne disposait même pas de ses collaborateurs habituels, demeurés en Égypte, et il dut improviser un état-major avec des officiers qui, pour la majorité, étaient inconnus de lui. Le général Lejeune a raconté dans ses Souvenirs comment il fut invité à déjeuner par Berthier après qu'une commission eut examiné ses capacités et se vit proposer à la fin du repas par le ministre d'entrer à son service comme aide de camp. C'était un excellent officier du génie et un peintre de talent. De cette manière, Berthier recruta un état-major. Les constatations auxquelles se livrèrent le ministre et sa nouvelle équipe dépassèrent les pires craintes : les dépôts, les magasins, les arsenaux étaient à peu près vides. Les places de guerre n'étaient plus approvisionnées et leurs garnisons réduites à presque rien. Dans ces conditions, elles étaient hors d'état de soutenir un siège. La cavalerie manquait de chevaux et l'artillerie d'attelages. Pour couronner le tout, l'état d'esprit était mauvais dans certaines unités qui avaient assez mal pris le 18 Brumaire. Lorsqu'elles apprirent que Jourdan, le vainqueur de Fleurus et membre du conseil des Cinq Cents, était porté sur la liste des proscriptions établie par Fouché et menacé de déportation, ce fut bien pis. D'ailleurs, une certaine forme d'insubordination chez plusieurs généraux perdura pendant tout le Consulat, Moreau, Bernadotte, Masséna, Leclerc et quelques autres donnant le ton.
Cependant Berthier prenait des mesures pour redresser la situation. Il y avait urgence, car si les alliés avaient été stoppés, ils n'avaient pas renoncé pour autant à leurs projets d'invasion. La première chose qu'il fallait se procurer, c'était de l'argent et, comme il n'y en avait pas, Berthier s'adressa au plus célèbre des munitionnaires, le banquier Ouvrard. Ce dernier, favorable au nouveau régime qu'il jugeait stable, ouvrit immédiatement au ministre un crédit de trois millions. Mais, lorsque Alexandre apprit la bonne nouvelle à Bonaparte, il eut la surprise de voir celui-ci refuser la transaction. Il éprouvait une méfiance invincible vis-à-vis des professionnels de la finance. Pour le coup, Berthier se fâcha. Ce fut le premier affrontement sérieux entre les deux hommes. Le ministre demanda avec obstination avec quoi son interlocuteur voulait qu'il se procurât ce dont l'armée avait besoin, s'il n'avait pas d'argent pour le payer. Mais Bonaparte persista dans son attitude, et Berthier comprit que s'il continuait dans la sienne, le Premier Consul finirait par le suspecter de s'être laissé corrompre. Reconnaissant néanmoins la justesse du raisonnement de Berthier, le « patron » l'autorisa à tirer des traites sur le trésor, ce qui n'enthousiasmait pas les fournisseurs qui connaissaient la précarité de ce mode de paiement.
Malgré ce handicap, en moins de six mois Berthier, au prix d'un travail acharné, remit la machine administrativo-militaire en marche, remplit les magasins, fit entrer les conscrits dans les dépôts, réarma les places fortes d'Antibes jusqu'à Bergen-op-Zoom, et en puisant dans les rangs de la garde du Directoire commença à mettre sur pied la garde consulaire. En même temps, répondant aux demandes des différentes armées en campagne, il fut à même de leur fournir presque tout ce qu'elles réclamaient, en particulier pour l'artillerie et le génie. Cette activité forcenée ne l'avait pas empêché d'avoir une vie sentimentale intense. Il avait retrouvé Giuseppa et repris leur liaison officialisée par l'absence du mari à présent à Genève.
Le nouveau Premier Consul, gardant le souvenir de sa brillante campagne de 1796, estimait que l'effort définitif pour mettre fin au conflit devrait être fait en Italie. Ceci d'autant plus qu'il ne connaissait pas du tout l'Allemagne où opérait la plus importante de nos armées. Or ce qui restait de l'armée d'Italie sévèrement étrillée dans les mois précédents était bloqué autour de Gênes par une armée autrichienne, et si elle y menait une guerre défensive efficace, elle n'avait pas les moyens de prendre à elle seule l'offensive. De son côté, face à l'Allemagne, l'armée du Rhin était prête à faire mouvement sous le commandement de Moreau, peut-être le meilleur général dont disposât la République [1] . Dans l'esprit de Bonaparte, ces forces devaient retenir et
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