Le Maréchal Berthier
Bonaparte, voulaient refondre la constitution en modifiant l'équilibre entre le législatif et l'exécutif à leur profit. Ils pensèrent recevoir l'appui d'une fraction de l'armée et, dans ce but, prirent successivement contact avec un certain nombre de généraux qui déclinèrent leur offre. Moreau, après s'être lui aussi récusé, désigna Bonaparte en disant : « Voilà votre homme… Il fera votre coup d'État bien mieux que moi. » Le plus étonnant dans cette machination est que les préparatifs se déroulèrent au grand jour. Tout le monde était au courant ! Sieyès obtint donc le concours de Bonaparte sans se rendre compte que celui-ci travaillait à son profit.
Dans toute cette agitation, de même que dans l'exécution du coup d'État qui n'en était pas véritablement un, Berthier resta extraordinairement passif. Il aurait pourtant pu jouer un rôle de premier plan, car il était intimement lié avec Lucien Bonaparte qui allait être le personnage pivot de toute l'opération et celui sans lequel elle aurait pu échouer. Certes, Berthier demeura aux côtés du « patron ». Il savait pertinemment ce qui se préparait, se contentant d'organiser des rencontres entre Bonaparte et certains généraux de passage à Paris. Mais il ne chercha pas à avertir les autorités, d'ailleurs au courant, de ce qui se tramait. Cette attitude que l'on pourrait qualifier de « complicité immobile » aurait très bien pu le conduire devant un peloton d'exécution en cas d'échec. Berthier approuvait-il ou désapprouvait-il le dessein de Bonaparte ? La chose est difficile à dire. La politique, comme pour la majorité des officiers, ne l'intéressait pas. En tous les cas, au moment du commencement de l'exécution le 18, Berthier se trouva aux côtés de son chef comme tous ceux que celui-ci avait ramenés d'Égypte.
Chacun d'entre eux avait un rôle précis à jouer, hormis Berthier. Or, le 19 brumaire, alors que tout le monde montait à cheval pour se rendre à Saint-Cloud, Bonaparte vit son second hésiter. Étonné, il lui demanda s'il était souffrant. Berthier qui savait qu'il aurait du mal à rester en selle répondit : — « J'ai un clou qui perce ; je suis couvert de pansements !
— « Restez », dit Bonaparte plein de sollicitude.
Mais Berthier ne voulut rien entendre et déclara que, dût-il souffrir l'enfer, il n'abandonnerait pas son « patron ». Pourtant, à Saint-Cloud, son rôle fut pratiquement nul. S'il accompagna Bonaparte au conseil des Anciens, il se contenta de le prendre par le bras et de l'entraîner vers la sortie quand il s'aperçut que le discours de Napoléon était totalement incohérent. Un peu plus tard, lorsque le général entra dans la salle où siégeaient les Cinq-Cents, Berthier n'était même pas à ses côtés ; et lorsque Murat se mit à la tête des grenadiers pour expulser les députés qui demeuraient dans la salle, il demeura immobile à l'extérieur, une fois de plus spectateur passif. Mais il avait fait acte de présence. Bonaparte ne lui en demandait pas davantage. Et il était toujours à ses côtés au moment où Lucien fit une véritable scène à son frère, lui reprochant par son attitude irresponsable d'avoir manqué tout gâcher. On sait que Bonaparte dont le triomphe était assuré fit remarquer d'un ton badin à Berthier : « Le président me gronde, et sans doute n'a-t-il pas tort ! À chacun son métier ! »
Dans les jours qui suivirent, Bonaparte s'attela à la réorganisation intérieure de la France, à commencer par l'armée. Malgré ses récentes victoires, elle était dans un désordre indescriptible : désorganisation, dénuement total. Et comme il n'existait ni un état, ni un compte rendu, il était à peu près impossible de mesurer l'importance du chaos. À l'intérieur comme à l'extérieur, les armées vivaient sur le pays par le système des réquisitions. Ce fut ce que constata le ministre de la Guerre qui succéda dès le 20 brumaire (11 novembre 1799) à l'incapable Dubois-Crancé et qui n'était autre que Berthier. Dire que cette nomination lui a fait plaisir serait contraire à la vérité. Il était fatigué et mesurait l'ampleur de la tâche qui l'attendait alors qu'il aurait voulu passer ses journées aux pieds de la marquise. Il devait en faire l'aveu, quelques mois plus tard, à Bonaparte lui-même, en lui écrivant, le 23 avril 1800 : « Le repos et l'oubli, c'est ce qui m'aurait convenu quand vous m'avez jugé plus utile au
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