Le Maréchal Berthier
deuxième quinzaine de mai, gagna Martigny et franchit le col pour arriver à Aoste. Le problème posé par le fort de Bard continuait à le préoccuper d'autant que Bonaparte ne cessait de lui demander s'il était pris. Il avait raison de se faire du soucis. Arrivé devant la construction, le 18 mai, il comprit tout de suite qu'un tel verrou ne serait pas facile à faire sauter. Construit sur un éperon, comprenant deux enceintes, chacune armée d'une batterie, le fort n'était lui-même dominé que par une hauteur sur laquelle il était à peu près impossible de hisser des canons. Le feu de l'ouvrage balayait la route et la rendait impraticable. Berthier en fut immédiatement convaincu. Une reconnaissance approfondie lui apprit qu'il existait un chemin contournant le fort, hors de portée de son tir. L'infanterie pouvait l'emprunter, plus difficilement la cavalerie, mais pas du tout l'artillerie.
Sommé de se rendre, le commandant autrichien de la forteresse refusa et, lorsque l'artillerie française ouvrit le feu contre lui, il riposta de toutes ses pièces en mettant à mal nos emplacements de batteries.
Berthier décida alors de faire emprunter le chemin de contournement dit « chemin d'Albaredo » aux divisions et, en même temps, d'entreprendre le siège de la place pour détourner l'attention des défenseurs. Mais il restait à résoudre le problème du passage de l'artillerie. Après avoir envisagé plusieurs solutions, il ordonna à Dupont, à titre d'essai, de faire garnir de paille mouillée les roues de deux pièces de « quatre » et d'un obusier, puis, au crépuscule, de faire couvrir la route de paille. Tirés chacun par vingt-cinq hommes, les canons tenteraient de passer sous le fort. Mais les Autrichiens, comme s'ils avaient deviné la manoeuvre, jetèrent toute la nuit des grenades du haut des remparts et tirèrent des coups de feu au hasard sans toucher personne. Berthier dut renoncer à sa tentative. De préoccupante, la situation devenait grave. Prévenu, Bonaparte, qui était toujours loin en arrière, reconnut que Berthier avait fait tout ce qui était possible pour dénouer la crise et fut d'avis de poursuivre la descente en Italie avec ou sans artillerie. On en trouverait sur place ! Puis, il adressa au gouvernement un premier bulletin de l'armée de réserve dans lequel il dissimulait soigneusement les difficultés qu'elle rencontrait. Il y rendait toutefois hommage au zèle et à l'ingéniosité du général en chef. L'obstination de Berthier finit par payer et, parce que les nuits furent particulièrement obscures, le plus gros de l'artillerie put passer entre le 25 et le 26 mai. De ce fait, l'armée ne subit un retard que de quelques jours par rapport au calendrier des mouvements. Tout de même, le fort de Bard avait accompli sa mission.
Le dernier obstacle franchi, l'armée de réserve dévala en Italie et y retrouva ses deux divisions qui avaient franchi sans difficulté les cols du Petit-Saint-Bernard et du Saint-Gothard. Il fallut tout de même laisser un corps d'investissement devant le fort de Bard qui continuait à résister. Un assaut ordonné par Bonaparte, malgré l'avis contraire de Berthier, se solda par un échec avec des pertes assez lourdes. Il fut passé sous silence dans les rapports.
À partir de l'arrivée en Italie, Bonaparte prit en main la direction des opérations, mais comme en même temps Berthier continuait à jouer son rôle de commandant en chef, il allait en résulter quelques frottements et flottements qui, dans une certaine mesure, nuisirent à la bonne marche des opérations. Les deux généraux étaient tombés d'accord pour avancer sur Milan afin de couper la voie de retraite à l'armée de Mélas, qui était toujours en principe retenue devant Gênes par Masséna. Le 3 juin, l'armée française entrait à Milan et tendait la main à Moncey qui descendait du Saint-Gothard. Cependant, averti, Mélas se hâtait de remonter vers le nord, laissant son lieutenant Ott devant Gènes. Peu après il lui ordonna de lever le siège et de le rejoindre. Ott se garda d'obéir, car il savait Masséna à toute extrémité et celui-ci capitula, du reste, le 6 juin.
Le même jour, Berthier quittait Milan pour superviser le passage du Pô par ses troupes. Entre elles et celles de Mélas s'engageait une course de vitesse. Ce fut Ott, le vainqueur de Gênes qui, remontant à son tour pour rejoindre son chef, arriva au contact des Français le premier. Au village de
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