Le Maréchal Berthier
sut se taire ; mais Bonaparte fut contraint de s'en ouvrir à plusieurs autres et certains n'eurent pas la même discrétion. Le bruit de son prochain départ courut dans l'armée. Du reste, son mouvement fut précipité par le fait que l'escadre anglaise qui assurait le blocus des côtes prit le large. Bonaparte décida donc de profiter de l'occasion, alors qu'il aurait eu besoin d'une quinzaine de jours pour régler ses affaires. Berthier fut prié de convoquer d'urgence à Alexandrie plusieurs généraux absents du Caire dont Desaix et Kléber ainsi que des membres de l'Institut. Le général en chef n'avait pas encore décidé s'il emmènerait avec lui ces généraux ou s'il confierait à l'un d'eux le commandement de l'armée. Berthier conseillait de la laisser soit à Kléber, soit à Desaix qu'il estimait être les plus capables de remplacer Bonaparte. Ce fut le premier que choisit le général en chef. Il lui transmit ses pouvoirs par écrit et il se félicita qu'il n'ait pu rallier Alexandrie à temps, car il savait qu'il aurait eu à essuyer ses remontrances.
Deux frégates, ainsi que deux chébecs amarrés dans le port, furent déhalés sur rade et l'embarquement se fit presque clandestinement. Berthier restait aux côtés de Bonaparte. Ils partirent le 24 août. Desaix, accompagné de Davout, rentra un peu plus tard après avoir connu de multiples aventures. On a beaucoup épilogué sur les conditions du voyage de Bonaparte. La flotte anglaise contrôlait le trafic maritime en Méditerranée. Il est étonnant que toute une division française ait réussi à passer entre les mailles du filet, en particulier entre le cap Bon en Tunisie et la Sicile, détroit qui était surveillé de près. Certes, il fut franchi de nuit, tous feux éteints, mais il est frappant que, chaque fois qu'un ou plusieurs navires anglais furent en vue, au lieu d'appuyer la chasse, ceux-ci changèrent franchement de cap. Aussi est-il permis de se demander si le cabinet britannique ne favorisa pas le retour de Bonaparte et de ses principaux lieutenants, décapitant ainsi l'armée d'Égypte. Il ne pouvait deviner que Kléber, excellent stratège, remplacerait sans difficulté Bonaparte. Mais il fut curieusement éliminé à son tour et l'aventure se termina peu après. Pourquoi ne pas avoir intercepté la flottille ? En laissant Bonaparte et les siens débarquer en France, ne créait-on pas de sérieuses difficultés au Directoire ? La seule chose que n'auraient pas prévue les Anglais était qu'ainsi ils lâchaient le loup dans la bergerie, à supposer que cette hypothèse fût exacte !
La traversée fut particulièrement longue. Certes, ils firent escale en Corse mais surtout trouvèrent des vents faibles et des courants contraires. Partis le 23 août d'Alexandrie, ils n'atteignirent Fréjus que le 9 octobre. Ils craignaient d'être retenus en quarantaine comme tous les voyageurs venant d'Orient, mais y échappèrent par un tour de passe-passe. Habilement chauffée par les frères Bonaparte, Joseph et surtout Lucien qui attendaient ce retour et avaient activé leurs agents, une partie de la population, celle qui avait fourni les sans-culottes et autres éléments louches de la Révolution, accueillit les voyageurs en triomphe. Le jour même de son débarquement, Bonaparte partit pour Paris en compagnie de Berthier. Celui-ci était resté étrangement atone pendant le voyage. Certes, il était impatient de revoir sa maîtresse mais, inquiet quant à la manière dont ils seraient accueillis par les autorités et au sort qui les attendait. Tout ce qu'il rapporta fut sa relation des campagnes du général Bonaparte en Égypte et en Syrie, travail entièrement dicté par Bonaparte.
Si la populace avait acclamé Bonaparte, l'accueil du gouvernement fut glacial. Ce revenant eut le front de se présenter devant les Directeurs comme le sauveur de la patrie ! Or, celle-ci l'avait été sans son aide par les victoires de Brune en Hollande et surtout de Masséna, en Suisse, qui avaient cassé les reins aux préparatifs d'invasion des coalisés. Néanmoins, Bonaparte persistait dans son désir d'essayer de renverser le gouvernement à son profit. S'il savait pouvoir compter sur un certain nombre de divisions, l'armée du Rhin et celle de Suisse lui étaient, en revanche, franchement hostiles.
Au même moment, un des Directeurs, Sieyès, et le président du conseil des Cinq-Cents (une des deux assemblées), Lucien, le propre frère de
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