Le Maréchal Berthier
passait, il aurait voulu voir son ministre y mettre fin. Or, comme il était impossible de régulariser la situation et que Berthier ne voulait rompre à aucun prix, l'affaire demeurait sans issue. Aussi, il n'était de couleuvres que le Premier Consul ne leur fît avaler.
Il refusa de recevoir la marquise à la Malmaison malgré les demandes réitérées de Joséphine qui demeurait son amie, et ce fut l'origine d'une scène entre les époux. Mais il ne pouvait la frapper en permanence d'une sorte d'ostracisme.
De plus en plus, l'entourage du Premier Consul, en ce début de 1802, prenait des allures de cour et les manières et usages de la royauté étaient ressuscités, ce qui faisait d'ailleurs ricaner tous ceux qui se déclaraient républicains. On vit donc renaître la coutume de la présentation officielle des dames françaises et étrangères les plus importantes. C'était une cérémonie de pure forme, car Bonaparte les connaissait toutes et n'eût pas toléré de se trouver nez à nez avec une inconnue. Bien entendu, Giuseppa fut présentée ; mais alors Bonaparte faisant preuve d'une véritable goujaterie bien dans sa manière déclara à haute voix : « Ces dames italiennes se conservent beaucoup mieux que les Françaises. Qui dirait par exemple que vous avez quarante-six ans ! »
Outre qu'il était mal élevé de rappeler son âge à une dame, il la vieillissait volontairement de trois ans ! Elle accusa le coup mais les deux amants se moquaient éperdument de ces petites vexations.
À présent que son travail de ministre était considérablement allégé, Alexandre avait à faire face à une question extrêmement délicate qui le poursuivait depuis plusieurs années et sur laquelle il ne s'était pas vraiment penché faute de temps. Son attachement au Premier Consul était total et absolu, même s'il s'accordait à lui reconnaître un certain nombre de défauts. Mais, au fond du coeur, il avait gardé une sympathie et quelque chose qui ressemblait à du dévouement vis-à-vis des Bourbons à qui sa famille devait tant. Déjà, en 1798 et 1799, le prétendant Louis XVIII (qui avait pris ce titre pour faire comprendre qu'il était le roi après la mort du dauphin au Temple, en 1795) l'avait fait approcher par plusieurs de ses agents pour qu'il essayât de persuader Bonaparte de jouer le rôle de Monk et de faciliter la restauration de la monarchie. Pris entre ses différents penchants, la perplexité de Berthier avait été d'autant plus grande qu'il avait déjà compris que son « patron » travaillait pour son propre compte, ce qui d'ailleurs lui convenait parfaitement. Sans éconduire les envoyés du roi, il s'était contenté de ne pas donner suite à leurs ouvertures. Du reste, la position de Louis XVIII était elle-même assez ambiguë en ce sens que, tout en voulant ouvrir des négociations avec le pouvoir, il ne ferait rien pour freiner l'action de ses partisans qui complotaient et projetaient simplement d'assassiner Bonaparte. Berthier estimait qu'en tout état de cause un projet de restauration était prématuré. Il se serait heurté à l'opposition de tous les détenteurs de biens nationaux dont l'influence dans le pays était grande, sans compter celle de l'armée.
Pourtant, Alexandre allait avoir l'occasion d'exprimer vis-à-vis du Premier Consul ses sentiments profonds Ce fut lors de la pénible affaire du duc d'Enghien, en 1804. D'un côté, le Premier Consul était énervé par les conjurations royalistes à répétition. Il voulait en finir en faisant comprendre aux conspirateurs que jamais il n'aiderait les Bourbons à remonter sur le trône. D'un autre côté, Fouché et Talleyrand qui voulaient voir Bonaparte donner des gages aux hommes de la Révolution, le poussaient à commettre le geste qui creuserait entre lui et les royalistes un fossé infranchissable. C'est dans cette atmosphère que furent imaginés et organisés l'enlèvement et l'exécution du duc d'Enghien, cousin du roi, qui résidait en pays de Bade, non loin des frontières françaises. Mais il se trouvait tout de même à l'étranger et ce rapt était tout à fait contraire au droit.
Bonaparte réunit, le 10 mars 1804, un conseil de gouvernement au cours duquel l'enlèvement du duc fut décidé. Quoique ministre de la Guerre, Berthier n'y fut pas convoqué. Toutefois, ce fut lui qui dut signer les ordres mettant en route l'opération. Il le fit avec répugnance alors qu'il ignorait même le sort qui serait réservé
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