Le Maréchal Berthier
au duc. Son attitude avait été rapportée à Bonaparte et celui-ci chargea donc son beau-frère Murat, qui était gouverneur militaire de Paris, de constituer la commission militaire qui jugerait le duc et le condamnerait à mort sous le premier prétexte venu.
Le prince prisonnier arriva à Paris au soir du 20 mars. Or, ce jour-là, Bonaparte qui n'avait pas encore pris sa décision définitive consulta successivement Berthier et Talleyrand. Alexandre, à l'inverse des personnes reçues par le Premier Consul avant lui qui n'avaient pas osé prendre position, se déclara carrément hostile à l'affaire, et lorsque Bonaparte évoqua le conseil de guerre, le ministre déclara qu'un tel acte serait injustifiable, qu'il ne fallait pas compter sur lui pour en désigner les membres et il alla (du moins il devait le soutenir par la suite) jusqu'à offrir sa démission. Talleyrand qui lui succéda, plaida en revanche la fermeté et recommanda d'aller jusqu'au bout. Joseph Bonaparte arriva sur ces entrefaites, trouva son frère perplexe et hésitant : « Il me montra son étonnement, rapporte-t-il dans ses mémoires, de l'extrême diversité d'opinion des deux personnages qu'il avait consultés. » C'étaient surtout l'attitude et la véhémence de Berthier qui l'avaient frappé. Il connaissait son honnêteté, son dévouement et également la lucidité de ses jugements. Il se demanda un instant s'il n'était pas en train de faire fausse route. Finalement, son instinct sanguinaire reprit le dessus et l'irrémédiable s'accomplit. Curieusement, Berthier ne réagit pas. Il était comme anéanti. Il se renferma pour un temps dans un silence réprobateur et se réfugia dans son travail.
La fragile paix d'Amiens ne dura qu'un an. Le gouvernement de la Grande-Bretagne ne croyait pas vraiment au pacifisme de Bonaparte. Le comportement de celui-ci l'ancrait dans ses convictions. Cette trêve fut rompue en 1803. Aussitôt après, Bonaparte commença à envisager une invasion des îles Britanniques et, dès le mois de juin, demanda à Berthier de se pencher sur ce problème pendant que lui-même irait visiter les ports et installations du nord de la France et de la Belgique. Le ministre était trop rompu aux travaux d'état-major pour ne pas saisir la particularité d'une telle opération dont, en fait, personne n'avait l'expérience. Le Premier Consul avait dans l'idée de concentrer l'armée française d'invasion qu'il estimait devoir compter cent cinquante mille hommes dans un camp spécialement aménagé aux environs du port de Boulogne où s'effectuerait l'embarquement. En fait, il allait bientôt apparaître qu'il faudrait construire quatre camps respectivement situés à Boulogne, Montreuil, Saint-Omer et Bruges. Ces quatre localités devraient servir de points d'embarquement aux différentes unités transportées à travers le détroit à bord d'une flottille de petits bâtiments. Quatre types de navires avaient été retenus. Mais cette partie de l'opération était du ressort de l'amiral Decrès, ministre de la Marine. Seulement, comprenant les nombreuses interférences devant intervenir entre leurs services, les deux ministres avaient décidé de collaborer étroitement. Bonaparte n'entendait rien à ce travail et à son habitude croyait y participer en se noyant dans une foule de détails, telle la manière dont devaient être construites les péniches et la rédaction d'un lexique pour expliquer aux soldats le sens des termes marins.
Dès le début, Decrès et Berthier réalisèrent la complexité que représentait la traversée du Pas-de-Calais. Contrairement aux affirmations optimistes de Bonaparte, il apparut que l'embarquement des troupes, des chevaux et du matériel serait assez lent et prendrait plusieurs jours, d'où la nécessité de prévoir un supplément de vivres par rapport aux estimations initiales. La manoeuvre des escadres qui devait conduire à rendre celles-ci maîtresses de la Manche ne concernait pas Berthier, mais Decrès le mit en garde. Avec son bel optimisme et sa méconnaissance des choses de la mer, Bonaparte avait estimé que ses navires de haut bord n'auraient besoin de se rendre maîtres du détroit que pendant douze heures. Son calcul était inexact, car il fallait compter deux à trois jours pour faire sortir des ports les petites embarcations constituant la flottille. Pendant ce laps de temps, les bateaux déjà en mer, qui attendraient, seraient sans aucun doute l'objet d'attaques de
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