Le Maréchal Berthier
la part des unités anglaises. L'amirauté britannique avait, de son côté, constitué une flottille dont l'objectif était d'intercepter celle des Français. En ce qui concernait les formations françaises, Bonaparte avait eu l'idée de les faire manoeuvrer par les soldats qui y étaient embarqués. De nombreux exercices eurent lieu et se révélèrent décevants, que ceux-ci aient été effectués sur rade ou dans les ports. Sortir plus loin en mer, hors de portée des batteries de côte, présentait le risque de voir ces embarcations attaquées. Il fallut y renoncer.
La plupart des hommes, pour ne pas dire la quasi-unanimité, n'avaient jamais mis le pied sur un navire et étaient sujets au mal de mer. Quand ils devaient manier les lourds avirons, ils se révélaient plutôt maladroits et s'épuisaient rapidement. Qu'en serait-il lorsqu'il faudrait ramer pendant trente kilomètres surtout si la mer était agitée ? D'ailleurs, des plages de débarquement, on ne savait à peu près rien sinon qu'elles étaient surplombées par des falaises très difficiles à escalader. Enfin, le nombre des bâtiments de la flottille, mille huit cent trente unités, était notoirement insuffisant, en particulier en matière de péniches.
Toutes ces données rendaient Decrès franchement pessimiste et si, dans ses rapports au Premier Consul, il masquait par esprit courtisan la réalité, il jouait en revanche franc jeu avec Berthier. Celui-ci, à son habitude, voulut faire le maximum pour essayer de résoudre un problème dont un certain nombre de données lui échappaient ; mais, peu à peu, les réalités commencèrent à s'imposer à lui. Toutefois, il n'osa pas faire part de ses craintes au Premier Consul, sachant que celui-ci ne l'écouterait sans doute pas.
Il se mit donc à organiser les fameux camps comme si la descente avait eu toutes les chances d'aboutir. Chacun d'entre eux fut prévu pour recevoir des unités des trois armes ainsi que les chevaux nécessaires aux cavaliers et aux attelages. Des mesures d'hygiène particulièrement strictes s'imposèrent, car plusieurs installations avaient été bâties dans des marécages, sans trop s'en préoccuper, et il existait un sérieux risque d'épidémie de paludisme. Puis, selon son habitude, Berthier envoya des consignes détaillées à chacun des généraux commandant un camp pour l'instruction très spéciale à laquelle devraient être soumis les hommes qui devaient apprendre à nager (la plupart ne le savaient pas) et à manoeuvrer les péniches uniquement propulsées à la rame et dont les équipages de marins étaient réduits à deux ou trois hommes. L'armée comprenait un nombre important de conscrits, et il estima utile de pousser leur instruction afin de palier certains des inconvénients qu'il avait connus avec l'armée de réserve.
En octobre 1803, Bonaparte, voulant se rendre compte par lui-même de l'avancement des préparatifs, décida d'aller visiter les camps et ordonna à Berthier de l'accompagner. Tous deux furent assez satisfaits de cette inspection. Mais il apparut très vite que grâce à l'excellence de leur service de renseignements, et en particulier aux données que leur communiquaient nos pêcheurs, les Anglais étaient au courant de tout ce qui se préparait. Berthier demanda donc que des mesures de police soient prises pour mettre un terme à cet espionnage. En fait, elles ne furent pas pleinement efficaces.
Si cette préparation absorbait la plus grande partie de son temps, Berthier, en tant que ministre de la Guerre, devait également se soucier du bon fonctionnement des divisions militaires de l'intérieur. Il eut, en particulier, à veiller à la formation de corps d'éclaireurs destinés à lutter contre le brigandage qui désolait les départements. En même temps, la préparation de l'invasion prenait des formes gigantesques (qui rendaient de plus en plus hypothétique l'opération elle-même). C'était la première fois qu'une seule armée serait articulée en six commandements d'une telle importance. Par voie de conséquence, il allait falloir mettre sur pied un état-major général de dimension inusitée. Quant à son chef, la question ne se posa même pas. Ce serait le ministre de la Guerre qui n'abandonnerait pas pour autant son poste actuel.
C'était assez dire la valeur et surtout la confiance que Bonaparte mettait en Berthier. Toute l'activité de l'armée était contrôlée par ses services et il devait même perdre du
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