Le Maréchal Berthier
temps à aplanir les heurts entre certains de se généraux. Plusieurs, Davout en particulier, s'étaient rendus célèbres par la rudesse de leur caractère et la brutalité avec laquelle ils traitaient leurs subordonnés, même de grade élevé. Berthier s'appliqua toujours à arrondir les angles et à mettre un terme avec tact aux conflits.
Aussi, en cette année 1803, eut-il beaucoup moins de temps à consacrer à la marquise. Bonaparte espérait secrètement qu'il finirait par s'en détacher. Mais ce ne fut pas le cas.
Pendant l'hiver 1804, il fut de plus en plus question de la transformation du Consulat à vie en un Empire héréditaire, tout en continuant à considérer la France comme une république ! Or, dans l'armée, l'opposition à la place prépondérante prise par Bonaparte continuait à être vivace. Bernadotte en était l'âme et ce fut à son quartier général de Rennes que se noua la conspiration que Moreau appela comiquement « des pots à beurre ». Il fallait suggérer à un certain nombre de généraux de chauffer l'enthousiasme de leurs troupes pour la consultation qui allait avoir lieu. Berthier, bien qu'il fût demeuré royaliste de coeur, n'hésita pas à se faire l'agent électoral de son « patron », écrivant lettre sur lettre à ses camarades, chefs de corps, pour qu'ils agissent en ce sens. D'ailleurs, depuis l'affaire du duc d'Enghien, il savait à quoi s'en tenir sur les visées du Premier Consul. Ses fameuses lettres étaient toutes en nuances.
Mais certains des intéressés manquèrent de finesse. Il se raconta bientôt dans l'armée qu'un certain général, ayant reçu une lettre de Berthier, avait réuni ses régiments et sur le front des troupes avait tenu ce discours : « Soldats, il est question de faire empereur le nommé Bonaparte. Vous êtes libres de voter comme vous l'entendrez, entièrement libres, mais je vous préviens que le premier qui votera “non” sera immédiatement fusillé. Vive la liberté ! »
Lorsque Berthier en fut avisé, il goûta peu cette manière de comprendre le plébiscite qui, à ses yeux, devait légitimer la naissance de l'Empire devant l'Europe. Il y eut plusieurs incidents de ce genre, et Bonaparte ne s'en formalisa pas tant était grand son mépris pour ce genre de consultation. Certains généraux firent du zèle avec intelligence. Ce fut le cas de Soult.
Le 18 mai 1804, l'Empire fut proclamé et, dès le lendemain, furent désignés cinq grands dignitaires. Que Murat fût nommé grand amiral avait un côté cocasse qui échappa à presque tout le monde. Le même jour, quatorze généraux furent élevés à la dignité de maréchaux d'Empire, qui venait d'être créée, et quatre autres le furent à titre honoraire. Le premier de la liste était Alexandre. L'empereur tenait à honorer particulièrement ce fidèle compagnon, organisateur modèle de l'armée, sans le concours de qui il n'aurait pu mener à son terme sa fulgurante carrière.
L'annonce de cette promotion fut la dernière joie de Jean-Baptiste Berthier qui, depuis son second veuvage, habitait l'hôtel de la rue de Varenne. Voir son fils aîné maréchal de France ! Certes, les deux frères cadets d'Alexandre étaient généraux de brigade, mais leur père ne se faisait aucune illusion à leur sujet. Ils devaient cet avancement à leur aîné. Jean-Baptiste mourut trois jours plus tard et, à cette occasion, Napoléon adressa à son ministre une lettre de condoléances qui se voulait affectueuse et qui ne manquait pas de cynisme, puisqu'il écrivait : « Je comprends vos peines. Mais enfin, à quatre-vingt-cinq ans (il commettait une erreur, Jean-Baptiste n'en avait que quatre-vingt-trois), il faut bien finir. Et quand on a bien vécu, on ne peut plus ambitionner à cet âge que de laisser un bon souvenir. »
La générosité de Napoléon ne s'arrêta pas à cette nomination. Il savait que le délassement favori de Berthier était la chasse tant à courre qu'à tir et qu'il y excellait. Aussi, le 11 juillet, lui attribua-t-il la charge de grand veneur et dans son cas il ne s'agissait pas d'un titre de complaisance. De ce fait, Berthier cumulait, et il était le seul, à la fois une charge militaire et une charge civile, ce qui en faisait un des principaux personnages de la nouvelle cour en même temps qu'un membre de droit du Sénat. Toutes ces fonctions et charges étaient assorties de somptueux émoluments et, de ce fait, Alexandre se trouva fort à l'aise. Lorsque
Weitere Kostenlose Bücher