Le Maréchal Berthier
faire une propriété de deux mille hectares d'un seul tenant. À Paris, il se rendit propriétaire d'un hôtel près de la Madeleine et, comme il était alors absent de France, ce fut la chère marquise qui mena en son nom les négociations. Il en acquit un second, proche du premier, en 1807 pour loger ses écuries et son personnel et, dans un troisième plus petit, il installa la marquise et son fils.
Son train de maison était royal. Rien qu'à Paris, son grand chambellan commandait à cent cinquante personnes. Aussi s'était-il constitué une espèce d'état-major civil pour diriger l'ensemble de sa « maison ». Paris, Grosbois, Fontainebleau (encore un hôtel), le plus triste pour Berthier fut qu'il n'en jouit que pendant de brèves périodes, ses fonctions de major général l'ayant obligé à séjourner trop souvent hors de France. C'est pourquoi, tout bien pesé, il choisit de continuer à servir l'empereur.
Aussitôt après son mariage, Napoléon eut la singulière idée de faire visiter à la nouvelle impératrice une partie de son Empire. Ce fut le voyage en Belgique, qui se déroula d'avril à juin 1810. La suite du couple impérial était nombreuse et, quoique il estimât que sa présence serait plus utile à Paris, Berthier fut invité à en faire partie. Mené à un train d'enfer par un Napoléon infatigable, ce périple fut ennuyeux à souhait : réceptions, bals, discours banquets, visites de manufactures, d'arsenaux, de fortifications, lancement à Anvers d'un vaisseau de ligne se succédèrent. Marie-Louise que tout cela n'intéressait guère montra partout un visage de bois. Ses seuls moments de détente furent les trajets en compagnie de Catherine de Westphalie, femme de Jérôme Bonaparte, qui, née princesse de Wurtemberg, parlait parfaitement l'allemand. Dès son retour en France, le major général put enfin consacrer tout son temps aux affaires d'Espagne dont il ne voyait pas le terme. Il savait parfaitement qu'éloigné comme il était du théâtre des opérations avec, entre lui et les corps de troupe, l'écran de l'état-major de Madrid, son rôle, en dehors de la transmission des désirs de l'empereur, serait des plus réduits. Aussi, prenant de la hauteur, il décida de se borner à analyser la situation et à en tirer des conclusions qu'il soumettrait à Napoléon.
La position de l'armée française en Espagne avait quelque chose de ridicule. Elle comptait près de 200 000 hommes et perdait une partie de son temps à courir après de médiocres adversaires qui fuyaient pour se regrouper un peu plus loin. Le seul ennemi sérieux était l'armée anglaise de Portugal dont les effectifs n'excédaient pas 50 000 hommes, commandée par un général sans grand génie militaire qui ne savait que se retrancher dans une position forte et y attendre les assauts de l'adversaire. Mais par sa présence au Portugal cette armée anglaise encourageait la résistance de toutes les populations ibériques.
En réalité, ce qui nuisait à l'action de l'armée française était un problème de commandement. Berthier le perçut immédiatement. Les chefs des différents corps avaient pris l'habitude d'agir isolément et ne coordonnaient pas leurs actions. Tous méprisaient profondément le roi Joseph dont l'incompétence était notoire. De son côté, celui-ci les jalousait, les accusait de lui voler une gloire qu'il ne méritait pas. Aussi pour se venger retenait-il autour de Madrid les renforts ou le matériel que le ministère à Paris leur destinait et ceux-ci demeuraient inemployés et inutiles soi-disant pour protéger la capitale qui n'en avait pas besoin. La manière dont Berthier devait exposer le problème à l'empereur exigeait beaucoup de doigté.
Il aurait fallu prier Joseph de ne plus se mêler de diriger les opérations militaires ni de les mélanger aux affaires civiles ; mais Berthier savait que pour des considérations d'ordre familial Napoléon y répugnait. Il aurait surtout été nécessaire que l'empereur se rendît lui-même en Espagne. En sa présence, les corps d'armée étant concentrés et synchronisant leurs mouvements, l'armée anglaise n'aurait pas pesé lourd. Mais Napoléon ne parvenait pas à se décider. Il aurait voulu que l'affaire se terminât d'elle-même sans qu'il eût à y mettre la main. Curieusement, il était retenu par sa nouvelle épouse en faveur de qui il multipliait les attentions et qui lui en savait à peine gré.
Au cours de l'été 1810, comme s'il
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