Le Maréchal Berthier
méconnaître les règles les plus élémentaires de ce noble art exaspérait Berthier au plus haut point, car il estimait cette forme de mépris indigne d'un souverain. Aussi, plus d'une fois, alors que Napoléon le faisait chercher partout pour commencer une journée de chasse, Berthier demeura introuvable. Il s'était subrepticement éclipsé et était parti tranquillement à Grosbois où, un fusil à la main, en compagnie de quelques proches amis, il battait la plaine derrière ses chiens. Et l'empereur ne lui en tint pas rigueur.
Durant l'hiver 1810, les Berthier donnèrent réception après réception, plus somptueuses les unes que les autres, tant à Paris qu'à Grosbois, et l'empereur accompagné de l'impératrice puis un peu plus tard seul y fit de nombreuses apparitions d'autant que Berthier organisa, durant le carnaval, des bals masqués où Napoléon avait la facilité de courir le guilledou.
Cependant, il allait avoir besoin de l'aide de Berthier pour résoudre plusieurs problèmes plus sérieux. Le premier concernait son divorce. Depuis que Marie Walewska avait accouché d'un fils, Napoléon, qui avait eu des doutes jusque-là, était à présent certain de pouvoir procréer, ce qui, par contrecoup, scellait le sort de Joséphine. Mais si, sur le plan civil, un divorce était aisé à concrétiser – et il le fut dans les derniers jours de l'année 1809 –, sur le plan religieux, l'affaire était beaucoup plus délicate. Il était bien évident que s'adresser au pape, à priori seule autorité religieuse qualifiée, serait courir au-devant d'un échec car, depuis l'annexion de ses États et son arrestation en juillet 1809, il n'avait aucun motif de vouloir faire plaisir à Napoléon. C'eût plutôt été le contraire ! Ce fut alors que Cambacérès, toujours excellent juriste à l'esprit fertile, eut l'idée d'avoir recours à l'officialité diocésaine de Paris compétente pour les cas de nullité de mariage. Et il rappela à l'empereur que cet office avait prononcé la nullité du mariage de Jérôme, frère de Napoléon, avec l'Américaine Élizabeth Patterson.
Les prêtres de l'officialité de Paris ne firent pas, au départ, preuve d'une docilité exemplaire comme l'empereur aurait été en droit d'attendre d'eux. Ils commencèrent par soutenir que « la cause était si grave qu'elle était réservée, sinon en droit, du moins en fait, au pape ». Moyen élégant d'éviter d'avoir à prendre une décision.
Cambacérès fit alors réunir une commission ecclésiastique, mais un obstacle de taille demeurait. Il fallait trouver un motif de nullité et Cambacérès, sur ordre de l'empereur, affirma qu'au cours de la cérémonie du mariage qui s'était déroulée secrètement, il n'y avait pas eu consentement des époux. C'était faux et surtout un artifice par trop grossier. On imagina alors que cette union avait été célébrée sans témoins, autrement dit Talleyrand et Berthier, en ayant assuré qu'ils avaient été témoins, auraient menti, ce qui était inexact.
Talleyrand, qui n'en était pas à un reniement près et voulait rentrer en grâce auprès de Napoléon, signa tout ce qu'on voulut. Mais le prince de Wagram fit montre de davantage de scrupules. On lui demandait, en somme, de faire un faux et de mentir sous serment. Quel que fût son dévouement à l'empereur, c'était énorme. Il semble qu'il hésita et alla demander à sa maîtresse, très proche de Joséphine, de la consulter. Celle-ci, qui savait la partie perdue mais qui matériellement s'en tirait fort bien, aurait fait dire à Berthier qu'il pouvait signer tout ce qu'on lui demandait. Restait à obtenir le témoignage du cardinal Fesch, oncle de Napoléon, qui avait célébré son mariage religieux et n'eut pas honte de s'abaisser à effectuer une déclaration mensongère. Aussi, dès ce moment, la procédure devant l'officialité apparut-elle à tout le monde assez douteuse pour ne pas dire davantage. Mais Napoléon ne s'arrêta pas à ces « détails ».
Il réunit à Paris, à la fin de janvier 1810, un grand conseil afin de demander aux participants, tous grands dignitaires de l'Empire, de l'aider dans son choix d'une nouvelle impératrice. Devrait-elle être russe, autrichienne, saxonne ou française ? Une discussion animée suivit. Le seul qui émit un avis plein de bon sens fut l'architrésorier Lebrun qui se déclara en faveur de la princesse saxonne, « parce que ce mariage ne brouillerait avec personne ».
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