Le Maréchal Berthier
au travers de son ambassade parisienne un vaste réseau d'espionnage qui avait des agents jusqu'au ministère de la Guerre et qui le tenait parfaitement informé des renforcements de l'armée d'Allemagne. Peu à peu, la pensée de l'empereur se précisait, et ses actes que Berthier était le premier à connaître puisqu'il transmettait ses volontés lui inspiraient de plus en plus de craintes. Pendant l'été, il avait demandé à Davout de préparer un plan d'invasion de la Prusse, prélude à celui de la Russie. Jusqu'où Napoléon pensait-il aller ? Il ne le précisa pas. Davout adressa au major général le document à la fin de novembre. Mais comme entre-temps la Prusse fit acte de soumission, il fut à la fin du compte sans utilité.
Peu après, dans les premiers mois de 1812, furent signés des traités d'alliances avec la Prusse et l'Autriche qui s'engagèrent à fournir d'importants corps de troupes pour le cas où Napoléon devrait envahir la Russie. Berthier et plusieurs de ses collaborateurs en furent tellement abasourdis qu'ils se demandèrent un moment si Napoléon n'avait pas perdu l'esprit. La Prusse et l'Autriche, les ennemis d'hier qui n'avaient jamais accepté leur défaite ! Par son service de renseignements toujours bien informé, le major général apprit que le roi de Prusse et l'empereur d'Autriche continuaient à entretenir une correspondance secrète avec le tsar. Il n'était pas besoin d'être grand clerc pour en deviner le contenu. Mais Napoléon ne voulut pas tenir compte de ces inquiétantes nouvelles. En cette fin d'hiver 1811-1812, Berthier eut l'occasion d'avoir plusieurs conversations avec Cambacérès, et tous deux tombèrent d'accord pour mesurer à quel point le comportement de Napoléon suscitait leur inquiétude. Dans le même temps, le maréchal constatait que, loin de renforcer ses troupes d'Espagne ainsi que le réclamaient le roi Joseph et les maréchaux, Napoléon retirait des divisions entières : la garde, les Polonais ; et il s'illusionnait en les remplaçant par quelques unités de conscrits mal instruits.
À ce moment, les généraux en Espagne avaient à peine les forces suffisantes pour se maintenir dans leurs provinces. Ce fut alors que l'empereur chargea Berthier, déjà débordé par les problèmes de constitution de la nouvelle Grande Armée, d'une mission des plus désagréables. Il lui ordonna de constituer une commission d'enquête dont il ferait lui-même partie et qui aurait pour objet de juger le malheureux Dupont, le vaincu de Baylen, en étant prié de trouver des arguments qui permettraient de le condamner à mort !
Les membres de cette espèce de tribunal furent fort gênés d'entrée de jeu, d'une part parce qu'ils savaient que Dupont, en s'avançant comme il l'avait fait jusqu'en Andalousie, n'avait fait qu'obéir aux ordres de Napoléon, et, d'autre part, parce qu'ils considéraient que, si Dupont devait être condamné, Junot en toute justice devait subir la même peine. L'avis de Berthier fut capital aux yeux de ses camarades et il s'efforça de ne pas mêler les deux affaires. Assez judicieusement, il déclara que Dupont avait commis plusieurs fautes mais que ce n'était pas au conseil de les juger d'autant qu'aucune n'était réellement grave. Il centra donc son raisonnement sur la seule capitulation visant ainsi indirectement l'attitude de Junot, et déclara qu'il n'était coupable que d'avoir capitulé. Un corps d'armée, développait-il, « ne doit jamais capituler en campagne. S'il se voit entouré par l'ennemi, son devoir… est de se faire jour à la baïonnette ou de mourir ». Ses camarades partagèrent cette opinion.
Les juges condamnèrent donc Dupont, ainsi que les généraux Marescot et Vedel, à la dégradation et à la prison à vie. L'ombre de l'affaire Junot les avait empêchés de voter la mort au grand mécontentement de Napoléon. Dupont eut sa revanche à la chute de l'Empire puisque la première Restauration en fit un ministre de la Guerre. À ce moment, dans les milieux royalistes, on reprocha à Berthier son attitude lors du procès alors qu'il avait sauvé en quelque sorte Dupont.
Depuis le 1 er février 1812, Berthier n'était plus censé s'occuper des affaires d'Espagne mais devait consacrer toute son énergie (le procès Dupont mis à part) à ses fonctions de major général de la Grande Armée. Sa dernière dépêche concernant la péninsule avertissait Joseph que, dans le but de rétablir l'unité de
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