Le Maréchal Jourdan
popularité demeurait aussi grande. Lorsque à ce moment fut mis en place le
collège électoral pour l’élection de deux sénateurs, il fut d’emblée
choisi comme président du collège. Cette désignation eut lieu en présence des autorités locales
et des représentants du pouvoir central : maire, préfet, président de la cour
d’appel, commandant de la place… et évêque. Du coup, la candidature
annoncée de Jourdan prenait presque une allure officielle, encore que ce ne fut nullement le
but recherché. Lors du vote, l’élection de Jourdan prit des airs de marche
triomphale. Il recueillit cent trente-six voix sur cent quarante-deux votants. Le second siège
nécessita trois tours de scrutin afin que le général Dalesme rassemblât le nombre de voix
nécessaire pour former une majorité. Or, le vote des électeurs ne suffisait pas pour assurer
une élection. Il devait être confirmé par un accord du premier consul. En pratique, il était
assez rare qu’il le refusât mais, comme il tenait par-dessus tout à
s’assurer de la docilité du Sénat, il rayait automatiquement quiconque en qui il
croyait deviner un opposant. Cependant, malgré ces précautions, ce côté obséquieux du Sénat ne
l’empêcherait pas de voter la déchéance de Napoléon, en 1814.
Le 15 décembre 1803, Jourdan, pour clôturer la session, prononça devant le
collège électoral un discours dont le véritable destinataire était le premier consul. Personne
ne s’y trompa. Après quelques louanges et des remerciements aux habitants du
Limousin, il conclut en manière d’avertissement : « Le
matitien de la République est le premier de tous nos voeux ! »
Un tonnerre d’applaudissements accueillit ces paroles. L’assemblée
comprit qu’elle avait en lui un élu qui ne manquerait pas de faire savoir haut et
clair au gouvernement la façon de penser des gens du Limousin !
On a soutenu que ce discours était la preuve de l’incroyable maladresse dont
Jourdan pouvait se rendre coupable, ayant provoqué involontairement Bonaparte par ce coup de
semonce qui, d’une part, ne demandait qu’à donner satisfaction aux
ambitions électorales de Jourdan, et qui, d’autre part, avait sans s’en
cacher entamé la marche à l’Empire qui fut autoproclamé, le
18 mai 1804. La provocation ne fait pas de doute. Mais était-elle volontaire
ou non ? Il semble bien qu’il faille voir dans le geste de Jourdan une
démarche délibérée. Pendant les quelques mois de son séjour à Paris, il avait assidûment
fréquenté un certain nombre de ses amis qui, s’ils acceptaient comme lui le principe
du Consulat, entendaient que Bonaparte s’en tînt là. Parmi eux, il y avait
Bernadotte, Fouché, qui faisait à présent ouvertement de l’opposition, Brune,
Gouvion-Satit-Cyr, Moreau, Talleyrand et même Jérôme et Lucien Bonaparte. Il est probable
qu’ils suggérèrent que l’un d’entre eux
– et Jourdan ne demandait pas mieux que d’être leur porte-parole
s’il en avait l’occasion – fît savoir à Bonaparte
quelles étaient les limites qu’ils souhaitaient ne pas le voir dépasser.
Toujours est-il que le premier consul comprit et, surtout, saisit que
l’avertissement n’était pas le fait de Jourdan tout seul. Mais, furieux
de voir se dresser devant lui cet obstacle imprévu, il réagit avec sa brutalité ordinaire en
refusant de ratifier la nomination de Jourdan en tant que sénateur. Toutefois, la notoriété et
l’estime dont celui-ci continuait à jouir dans l’armée, surtout celle du
Rhin, faisaient qu’il était difficile de l’écarter complètement. Par
ailleurs, Bonaparte, s’il était contratit de l’employer, voulait que ce
fût loin de lui, loin de Paris, là où il serait utile mais pas gênant. Le
25 janvier 1804, il était nommé commandant en chef de l’armée
d’Italie avec résidence à Milan, ce qui pouvait, à la rigueur, passer pour une
manière de compensation.
Il y arriva un mois plus tard, précédé par la réputation de s’être montré en
Piémont un administrateur sage et pondéré, ayant laissé le meilleur des souvenirs aux Turinois.
Il allait remplacer Murat qui partait sans donner beaucoup de regrets à la population.
Celui-ci, autant pour satisfaire un penchant naturel que pour répondre aux recommandations de
son beau-frère, qui conseillait à ses généraux en
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