Le Maréchal Jourdan
Aussi, la manière à la fois discrète et pleine de
dignité dont Jourdan effectua son ralliement plut-elle au roi. Jourdan avait été prévenu que,
lors de son voyage de Calais à Paris, le souverain ferait un crochet par Rouen. Aussi
s’appliqua-t-il à lui préparer une réception à la fois simple et grandiose, mais
surtout chaleureuse. Ce fut peine perdue car le roi gagna directement Paris mais fut tenu
informé de la cérémonie qu’avait organisée le maréchal. Celui-ci partit le lendemain
pour la capitale afin de saluer en personne son nouveau souverain. Contrairement à ce
qu’il faisait avec bien d’autres personnages importants, le roi le reçut
sans le faire attendre. Il voulait lui faire comprendre de manière indirecte qu’il
avait apprécié son comportement. Entre ces deux hommes que des opinions anciennes tenaient trop
écartés l’un de l’autre, ce fut, non pas un courant de sympathie, mais de
compréhension mutuelle qui s’établit et le roi, en le congédiant, le renvoya à
Rouen, précisant simplement qu’il ne serait plus commandant supérieur mais
gouverneur de ses deux régions militaires. Le général Dupont, ministre de la Guerre, que
Jourdan ne manqua pas d’aller voir, ttit lui aussi à le rassurer. Il conservait son
poste avec tous les avantages matériels qui y étaient attachés.
Mais ses mésaventures passées avaient appris à Jourdan à se montrer méfiant. Il savait ce que
pouvaient valoir les promesses d’un prince et même d’un ministre. Aussi,
lorsque au mois de juin il fut autorisé à prendre quelques jours de congé pour se rendre dans
sa propriété du Coudray, il en profita pour écrire au comte de Limay, personnalité proche du
roi, qu’il avait eu plusieurs fois l’occasion de rencontrer, pour
solliciter son titervention en sa faveur afin d’être matitenu à son poste ou à un
autre équivalent. Et, pour consolider sa requête, il envoya une seconde lettre, cette fois à
Louis XVIII, lui rappelant la manière dont celui-ci l’avait assuré
qu’il n’était pas question de le remettre à la retraite. Outre le fait
qu’elle amusa le roi, sa demande tombait bien car c’était le moment où le
souverain comptait beaucoup sur l’armée, et surtout sur les maréchaux, pour
l’aider à consolider un trône qui manquait encore d’assise. Évidemment,
le comportement de Jourdan, ancien républicain convaincu, adversaire de toute forme de
monarchie et de pouvoir personnel, comme il l’avait exposé en détail en 1799 à la
tribune du Conseil des Cinq-Cents, ne manquait pas de piquant ! Mais quinze ans
avaient passé. Jourdan avait vécu et subi le régime dictatorial de l’Empire qui ne
s’était pas montré particulièrement bienveillant avec lui.
Ce fut donc sans arrière-pensées qu’il s’attela à sa nouvelle tâche qui
requérait à la fois de la fermeté et du doigté. En effet, les cadres subalternes et la troupe,
qui n’avaient pourtant pas bénéficié des largesses impériales, restaient souvent
fidèles au souvenir de l’empereur, se remémorant la vie facile des garnisons dans
les pays occupés. En même temps, les désertions atteignaient des chiffres records, chacun
jugeant légitime de rentrer chez soi. La reprise en main de ces régiments occupa tout le
prtitemps et l’été des gouverneurs de régions.
Si les conspirations étaient du ressort de la police, l’état d’esprit
des régiments et l’influence que les demi-solde essayaient d’exercer
auprès de leurs camarades relevaient de la compétence de l’armée et des services du
gouverneur. Jourdan s’appliqua à transformer la mentalité des troupes de sa région
militaire. En même temps, il remodelait ses divisions dans le cadre structuré par le ministère.
D’ailleurs, dans les derniers mois de l’année, alors que jusque-là
l’armée avait été réduite au minimum en vue de la paix générale que tous les
gouvernements souhaitaient en Europe, l’évolution de la situation amena le ministère
français à prendre de nouvelles mesures pour mettre sur pied une armée de deux cent mille
hommes.
À Vienne, où se tenait le congrès des grandes puissances, à la belle entente du début avait
succédé une division des participants en deux camps : d’un côté, la
Prusse et la Russie ; de l’autre, la Grande-Bretagne,
l’Autriche et la France. Talleyrand,
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