Le maréchal Ney
une ruse qui lui avait peut-être été soufflée par sa maîtresse, la marquise Visconti. Il mit Joséphine, la femme de Bonaparte, dans son jeu. Celle-ci, grande marieuse s’il en fut, accepta volontiers d’aider Berthier. Il avait tout simplement imaginé de lier Ney à l’équipe Bonaparte en le mariant dans une famille proche du premier consul. Mais là encore, l’affaire n’alla pas toute seule.
Ce fut Joséphine, sollicitée une fois de plus, qui mit l’opération en branle. Elle avait envoyé sa propre fille Hortense et la soeur de son mari, Caroline, parfaire leur éducation dans une maison qu’avait ouverte la célèbre Mme Campan, ancienne lectrice de la reine Marie-Antoinette. Toutes les jeunes filles de la bonne société y passaient, et ce fut dans ce vivier que Joséphine et son complice allèrent pêcher celle que devrait épouser le général Ney. Il s’agissait d’une amie d’Hortense, nommée Aglaé Auguie, affublée du diminutif d’Eglé. Propre nièce de Mme Campan, son père, haut fonctionnaire des finances, venait d’acheter pour une bouchée de pain le château de Grignon. Il devait le revendre à Bessières en 1803 pour près de trois cent mille francs !
Auguie était rallié sans arrière-pensées au clan Bonaparte. Sa fille, qui avait vingt ans, était grande, brune et plutôt bien faite de sa personne. Pas très intelligente, elle se sentait davantage attirée par l’aspect extérieur des gens et leur goût pour la mode plus que par leur esprit. À ses yeux, la toilette revêtait une importance primordiale. Vaine, frivole, superficielle, dépensière, elle se montra rarement de bon conseil pour son mari. Il n’est pas même certain qu’elle lui fut fidèle. On a parlé d’une trop grande intimité avec le beau Flahaut. Il est davantage probable qu’elle ait eu une passade avec l’empereur. Il est vrai que, de son côté, au cours de ses campagnes, Ney profita des occasions. Mais c’était une excellente maîtresse de maison et les réceptions qu’elle organisa plus tard, quand Ney fut arrivé au faîte des honneurs, passèrent à juste titre pour les plus brillantes de l’empire.
Le général, qui ignorait tout de cette intrigue matrimoniale, fut un peu étonné d’être invité en son château par le père Auguie en janvier 1802. Il se présentait comme un de ses fervents admirateurs, mais Michel ne se mit pas en frais pour cette visite. Il s’y rendit en uniforme de hussard, portant queue de cheveux, cadenettes poudrées et favoris rouges. La présence d’Aglaé fut en quelque sorte une révélation. Il se renfrogna, parla peu, laissant la jeune fille et son père faire les frais de la conversation. Le fait d’apprendre que la femme de son hôte, qui s’était suicidée sous la Terreur, avait été femme de chambre de la reine Marie-Antoinette ne l’impressionna pas. De son côté, elle le jugea provincial, pas très délié d’esprit, atrocement habillé. Bref, ce fut un fiasco.
Tout de même son père, parfaitement au courant des projets de Joséphine, soucieux de lui être agréable, fit remarquer à sa fille que ce garçon était général de division. Ce n’était pas rien, d’autant qu’encore jeune, trente-trois ans, il semblait promis à un brillant avenir.
Ney, toujours entiché d’Ida Saint-Elme, quoiqu’il sût cette liaison sans avenir, avait été assez médiocrement impressionné par la jeune fille. D’ailleurs, il pouvait hésiter à se rallier à ces Bonaparte à qui il ne devait rien. Le 18 avril 1802 fut célébré à Notre-Dame de Paris le premier Te Deum chanté depuis la Révolution. Si Bonaparte et ses proches le cautionnèrent de leur présence, un grand nombre de généraux républicains se dressèrent contre cette « capucinade », suivant la phrase du général Delmas. Plusieurs d’entre eux et non des moindres : Lannes, Augereau, Bernadotte, soutenus par Fouché, se préparèrent à faire marcher leurs troupes sur Paris pour assassiner le premier consul. C’est pour cette raison que la cérémonie fut entourée d’un déploiement de forces qui fit hésiter les conjurés.
Parfaitement au courant de ce qui se préparait, Ney ne se hâta pas de conclure un rapprochement dont il pouvait mesurer les conséquences politiques, surtout que, chez les conspirateurs, il ne comptait pas que des amis. Mais Joséphine se montra persévérante. La correspondance entre elle et le père Auguie d’une part, entre Hortense et
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