Le maréchal Ney
comme pas un. C’était Murat.
Berthier, décidé à le contrer d’une manière indirecte, se mit à chercher parmi les généraux un homme qui aurait à peu près son profil et qu’il était décidé à pousser dans la faveur du maître. Qu’il appartînt à l’armée du Rhin plutôt qu’à une autre lui sembla un avantage : on le détacherait de l’équipe Moreau et on montrerait ainsi que la faveur du gouvernement n’allait pas exclusivement aux anciens de l’armée d’Italie. Certes, il y avait Richepanse, le meilleur cavalier de la Révolution, mais il montrait trop qu’il demeurait fidèle à Moreau, quelles que fussent les circonstances. Et il le prouva tellement que le premier consul se hâta de l’expédier à la Guadeloupe, où il mourut rapidement.
Berthier se pencha alors sur le cas de Ney. Excellent cavalier autant que sabreur hardi, intrépide, d’origine modeste, un peu tête chaude, issu de l’armée d’avant la Révolution, il paraissait présenter beaucoup d’analogies avec Murat. Certes, il passait pour avoir un caractère difficile et fantasque, avait quelques tendances à se remplir les poches aux dépens des vaincus ; mais on pourrait peut-être, autant en raison de ses qualités que de ses défauts, le poser en rival de son camarade.
Ney arriva à Paris en mai et presque immédiatement Berthier le présenta au premier consul. L’entrevue fut un échec. Bonaparte, qui ne comprenait pas bien le cheminement de la pensée de son chef d’état-major, lui avait déclaré avant l’audience « qu’il n’avait pas besoin d’un sabre de plus ». De son côté, Ney ne fit aucun effort pour se montrer tant soit peu courtisan. À l’issue du face à face, Bonaparte déclara qu’il serait sans doute utile d’envoyer ce gaillard aux Antilles avec ses camarades et qu’en attendant, il importait de le laisser sans commandement.
Profitant de son passage à Paris, Ney, toujours intéressé par les jolies femmes un peu faciles, lia connaissance avec une jeune aventurière qui lui avait écrit plusieurs lettres et qui était du reste, encore peu auparavant, la maîtresse de Moreau. Elle se nommait Elzelina van Aylde Jonghe, mais trouvait plus pratique de se faire appeler Ida Saint-Elme. Un peu arriviste, un peu courtisane, un peu agent de la police sans doute, elle avait vécu une existence tumultueuse, passant de bras en bras. Âgée de vingt-cinq ans, elle pouvait affirmer qu’elle connaissait la vie. Fréquentant beaucoup les militaires, elle avait pris l’habitude de s’habiller en homme, ce qui lui allait plutôt bien. Son idylle avec Ney devait durer longtemps, les périodes amoureuses étant entrecoupées de longues abstinences. Obstinée, elle le poursuivit aux quatre coins de l’Europe et il ne parvint jamais à s’en défaire tout à fait. D’ailleurs, dès le début, il avait été édifié sur la sincérité de ses sentiments, ayant reçu par erreur et lu une lettre qu’elle avait adressée à Moreau.
Cette première liaison fut assez brève. Dans les années qui suivirent, alors qu’il était en campagne il vit surgir Ida au moment où il s’y attendait le moins. Elle apparut en Allemagne puis en Espagne. En Russie, pour la contraindre à rebrousser chemin, il n’eut d’autre solution que de lui administrer une raclée qui n’était pas dans ses habitudes. Bien des années plus tard, elle écrivit ses mémoires et les publia sous la Restauration. Comme elle y consignait sans rien déguiser les noms de ses amants, cela déclencha un joli scandale. Elle s’y montra laudatrice vis-à-vis de Ney, ce qui était la preuve d’un certain courage, à un moment où le gouvernement continuait à poursuivre de sa vindicte le maréchal, même après son exécution.
Très vite, en 1801, Ney retourna se morfondre à la Malgrange et, au mois de décembre, il demanda un poste que l’on ne se bousculait pas pour occuper : celui de commandant de la cavalerie pour la prochaine expédition de Saint-Domingue. Y étaient déjà affectés plusieurs de ses amis. Arrivé à Paris et s’étant renseigné sur les risques qu’allait courir l’armée de reconquête de la colonie, il comprit qu’il avait fait un faux pas. Il sollicita alors d’être nommé inspecteur de la cavalerie, ce qui lui fut accordé sans difficulté. C’est que Berthier veillait et n’avait pas renoncé à son projet. Voyant que de son côté Bonaparte n’avait pas changé d’opinion, il inventa
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