Le maréchal Ney
faire face à une double conflagration ni même de lutter avec succès contre la seule armée française. De son côté, s’il le prévoyait (il avait demandé dès 1811 à Bacler d’Albe, chef de son cabinet topographique, de lui établir tout un jeu de cartes), Napoléon ne le souhaitait pas. Son objectif n’était pas défini. Il comptait voir plier Alexandre, mais non le détrôner et encore moins le remplacer par un membre de sa famille. L’Europe se trouvait donc devant la double proposition suivante : Napoléon pouvait faire la guerre, mais ne le désirait pas ; Alexandre voulait la faire, mais ne le pouvait pas.
Les premiers mois de 1812 suscitèrent, en prélude aux hostilités, une intense activité diplomatique. À leur corps défendant, la Prusse et l’Autriche signèrent une alliance avec la France. De son côté, le tsar s’était rapproché de la Suède (24 mars), ce qui lui garantissait la sécurité sur sa frontière nord et en même temps neutralisait Bernadotte, un des meilleurs maréchaux français, devenu prince héritier de Suède depuis peu. Puis il négocia et signa, trois jours avant l’attaque française, un traité avec la Grande-Bretagne dont il n’attendait qu’une chose : « Qu’elle fît le caissier. »
Dans le même temps, Napoléon mettait en branle la concentration de la Grande Armée. Ses différents corps devaient traverser la moitié de l’Europe pour gagner leur base de départ. Comme ils passaient par des pays amis où le pillage était hors de question, le ravitaillement posait d’énormes problèmes logistiques.
Cette nouvelle Grande Armée était profondément différente des précédentes, tant par sa composition que par son importance ( Annexe II ). Ses éléments étaient de valeur inégale. Les troupes purement françaises se comparaient aisément à celles dont l’empereur avait disposé au cours des conflits précédents. En revanche, d’autres forces espagnoles, portugaises ou italiennes, enrôlées contre leur volonté et envoyées loin de leur terre natale, n’avaient aucune qualité militaire et attendaient, quand elles ne la provoquaient pas, l’occasion de déserter. D’un autre côté, l’absence de trois cent mille hommes parfaitement entraînés et retenus en Espagne affaiblissait la Grande Armée.
Le noyau autour duquel s’était constituée cette force comprenait sept corps d’infanterie français. Mais ceux-ci étaient beaucoup plus étoffés que ceux des années antérieures, et leur mobilité s’en ressentait. De seize mille hommes en moyenne, ils étaient passés à près de quarante mille chacun. Les quatre corps d’infanterie « mixtes », supposés être un amalgame de Français et d’alliés de vieille date, comptaient en réalité fort peu des premiers. Ceux-ci se limitaient le plus souvent à l’encadrement, et encore à un niveau élevé. Quant aux contingents purement « alliés », ils n’étaient pas sans valeur. C’étaient même souvent des soldats expérimentés, mais leur désir de se battre pour la France était des plus faibles. Napoléon le sentit tellement qu’il les plaça très loin sur ses ailes, en retrait de la force principale qui allait marcher sur Moscou.
La cavalerie française était impressionnante. Elle alignait cinquante mille sabres en quatre corps, ce qui ne s’était encore jamais vu, et une telle masse donnait quelques soucis à son chef Murat. L’artillerie comptait mille deux cents pièces de campagne, qui, avec ceux nécessaires pour le train, allaient nécessiter douze mille chevaux de trait.
En résumé, pour cet immense effort, Napoléon avait réuni 359 000 Français et 329 000 étrangers. La communication linguistique n’allait pas être le moindre des problèmes et cet ensemble méritait bien le sobriquet d’« armée des nations ».
En face, la Russie ne pouvait lui opposer au départ que 220 000 hommes articulés en deux armées, auxquels viendront s’ajouter les 40 000 qui venaient de combattre les Turcs. Très inférieure quant aux effectifs, elle disposait en revanche de huit cents canons de tous calibres, ce qui était assez considérable. Ce déséquilibre allait dicter la stratégie de l’armée du tsar qui ne pouvait, sous peine d’être écrasée, accepter la bataille de la frontière. Mais elle bénéficiait d’un immense espace et allait pouvoir y reculer. Cette méthode de guerre avait du reste été préconisée par Bernadotte à son nouvel
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