Le maréchal Ney
temps, ils déclarèrent que leurs hommes étaient trop épuisés pour entreprendre une marche vers le sud. Au surplus, ils avaient perdu ou détruit la plus grande partie de leur matériel, y compris les quinze mille ânes qui servaient d’animaux de bât et qu’il avait fallu sacrifier. En bref, ils étaient hors d’état de faire campagne. Et en adoptant cette position, ils donnaient raison à Ney contre Masséna !
De ce fait, la manoeuvre de Masséna devenait impossible. Il résolut de se débarrasser définitivement de celui qu’il considérait comme un gêneur. D’ailleurs, dans cette querelle, il n’avait pas que des adversaires. Plusieurs généraux avaient pris fait et cause pour lui sans restrictions, entre autres le commissaire général de police Lagarde, prévôt général de l’armée, chargé de surveiller les chefs militaires. Ce dernier proposa de faire coffrer Ney. Masséna ne voulut pas en venir à des mesures aussi radicales. Le 25 mars, Ney prenait le chemin de la France et, pour sauver la face, demanda très officiellement un congé pour aller « prendre les eaux ». Son départ fut ressenti par la troupe et les officiers subalternes comme une calamité doublée d’une injustice. Le « rougeaud », comme ils l’appelaient familièrement, demeurait très populaire parmi les soldats.
Au fond, le duc d’Elchingen n’était pas mécontent de s’en aller. Depuis deux ans et demi qu’il guerroyait dans cette maudite Ibérie, il en avait par-dessus la tête. Voyageant à petites journées, il arriva à Paris au mois de mai. Il avait déjà écrit à l’empereur pour lui expliquer à sa manière la querelle entre lui et Masséna et ses arguments n’étaient pas sans valeur. Il soulignait, entre autres : « Je me refusai par écrit à faire marcher le sixième corps par un pays dévasté... Voici mon crime. »
Il arriva au bon moment. Tout à la joie de sa récente paternité (le roi de Rome était né en mars 1811), Napoléon était enclin à l’indulgence. D’ailleurs, lui aussi était las de cette interminable affaire espagnole. Il se contenta d’adresser une paternelle remontrance au maréchal. Ney comprit qu’il avait intérêt à se faire momentanément oublier et partit aux Coudreaux. La manière était habile. Napoléon savait qu’il aurait besoin de lui un jour ou l’autre et lui en sut gré. Le 29 juillet, il le nomma commandant du camp de Boulogne, une sinécure qui prouvait qu’il était rentré en grâce. Néanmoins, toujours mauvaise tête, il ne put s’empêcher de fréquenter, contre l’avis d’Eglé, plusieurs salons où l’on faisait ouvertement de l’opposition à la dérive du système impérial. En particulier celui de Talleyrand. Et puis il se rapprocha de sa femme et l’année suivante naquit son dernier fils, Edgar.
Masséna fut rappelé à son tour, moins de trois mois après Ney, à la suite d’un nouvel échec. Napoléon ne l’accabla pas de reproches, mais, considérant qu’il était à bout de souffle, l’envoya commander une division militaire à Marseille. Les insinuations de Ney n’étaient sans doute pas étrangères à cette décision. Grand Seigneur à sa manière, Masséna n’en voulut pas à Ney et son comportement vis-à-vis de lui en 1815 montrera qu’il était sans rancune.
Ney passa cette fois près de neuf mois en France et put se consacrer à sa famille. Il eut des contacts étroits avec ses deux fils aînés, ce qui aurait plus tard un rôle déterminant dans le choix de leur carrière.
C HAPITRE IX
LE GOUFFRE RUSSE
(1812)
Depuis 1811, les rapports entre les empires français et russe se dégradaient. Alexandre avait peu goûté le mariage autrichien de Napoléon après qu’il lui avait finalement accordé la main de sa soeur cadette avec beaucoup d’hésitation. Il n’avait pas non plus apprécié que le 18 février la France eût annexé le duché d’Oldenbourg, propriété de son beau-frère. De son côté, Napoléon trouvait que la Russie appliquait le blocus continental avec mollesse.
L’incident du 15 août, où Napoléon fit publiquement une scène à l’ambassadeur du tsar, le prince Kourakine, envenima les rapports.
Pourtant ces faits ne justifiaient pas qu’on déclenchât un conflit armé. En outre, la Russie n’y était pas prête, estimaient les chefs de l’armée. Elle était pour l’heure engagée dans une guerre avec la Turquie et ses forces militaires n’étaient pas en état de
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