Le maréchal Ney
entre les recommandations de ses lieutenants. Il s’arrêta donc à un moyen terme, en accordant quinze jours de repos à l’ensemble de l’armée. C’était autant de temps de perdu. Ney, à qui pourtant Jomini avait fait la leçon avant le conseil en lui prêchant la modération (il était partisan de ne pas pousser plus avant), n’avait pas tenu compte de ses avis.
Entre-temps l’état-major russe venait de traverser une crise. Alexandre, incapable de commander en personne son armée, avait décidé, sous la pression de son entourage direct, de la cour et d’une grande partie de la noblesse, de changer de commandant en chef. Son choix s’était porté – ou plus exactement lui avait été imposé – sur Koutousov, qu’il n’aimait pas tout en reconnaissant sa compétence. Ce remplacement eut lieu le 7 août et Koutousov était partisan, comme son prédécesseur, de continuer la retraite, estimant l’affrontement prématuré.
Napoléon, qui avait en vain espéré recevoir à Vitebsk de nouvelles ouvertures de paix d’Alexandre et s’était préparé à la conciliation, ordonna la reprise en avant le 14 août. A présent, l’armée française approchait de Smolensk. On était le 16 août et le troisième corps était passé à l’avant-garde. Bien qu’il n’ait pas encore été engagé, ses effectifs avaient fondu de près d’un quart. Néanmoins, à l’approche de l’action, Ney revigoré le reprit en main. Il marchait à la pointe de ses formations. En découvrant la ville, il la crut abandonnée. Il s’avança donc avec une assez faible escorte vers la porte qu’il découvrait de la route lorsqu’une unité russe de cavalerie surgit et ramena les Français brutalement en arrière. Dans la mêlée, Ney reçut à bout portant une balle de pistolet qui déchira le col de son uniforme. Il ne dut son salut qu’à la prompte intervention d’un de ses régiments.
Ainsi les Russes tenaient toujours Smolensk. Ayant étudié en compagnie de Jomini les alentours de la ville, il acquit rapidement la conviction que de l’autre côté du Dniepr se déployaient les deux armées russes de Barclay de Tolly et de Bagration, qui venaient d’effectuer leur jonction. Ney prit alors ses dispositions pour donner l’assaut à la cité. Il n’eut pas cette peine : cette fois, les Russes l’avaient évacuée.
Comme elle était construite principalement en bois, ceux-ci y mirent le feu sans difficulté, en y abandonnant leurs blessés. Puis ils détruisirent les ponts sur le fleuve et, attendant la suite des mouvements des Français, se déployèrent sur les collines à l’est de la ville, de l’autre côté du Dniepr. Leurs dispositions montraient qu’ils ne semblaient, curieusement, pas avoir l’intention de s’opposer au franchissement du fleuve. De fait, lorsque les pontonniers français préparèrent puis lancèrent des ouvrages, ils ne les gênèrent en rien.
Une nouvelle fois, Napoléon, pendant les deux jours qu’il passa à Smolensk, réunit les maréchaux. Cette fois, Murat et Ney avaient changé d’opinion. Maintenant, à l’exception de Davout, tous estimaient que cette poursuite sans fin avait assez duré. Ils préconisaient de s’installer solidement autour de Smolensk, d’y construire des retranchements puissants, à l’instar, précisa Ney, de ceux de Torres Vedras, d’y accumuler du ravitaillement et d’y passer l’hiver. Puis de reprendre l’offensive au printemps de 1813. Napoléon ne voulut pas les écouter. Non, leur expliqua-t-il, la paix ne se signerait qu’à Moscou. Plus vite on y arriverait, mieux ce serait. Il ne voulut pas en démordre.
*
Le 19 août au matin, ayant traversé Smolensk qui brûlait toujours, le troisième corps franchit sans encombre le Dniepr et commença à escalader le plateau de Valoutina. Suivant cette fois les conseils de Jomini, qui avait percé à jour la tactique russe, Ney avança avec prudence. Le Suisse avait compris que le jeu russe consistait à laisser arriver à portée de feu les avant-gardes les moins importantes, souvent téméraires, à les accabler puis à se dérober sans attendre l’arrivée du gros. En débouchant sur le plateau, Ney eut la stupéfaction de découvrir l’armée russe tout entière. Il était hors de question de l’aborder avec son seul corps d’armée.
Toutefois, dans sa retraite, l’armée russe était obligée d’emprunter un étroit défilé. Jamais une semblable occasion ne se
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