Le maréchal Ney
comme un fou ! Il a fait massacrer toute ma cavalerie », expliqua-t-il au ministre, sans prendre la peine de parler de ses réticences à le soutenir ni dire pourquoi il n’avait pas tenté de l’arrêter dans sa « déraison ». Davout, qui pourtant n’aimait pas particulièrement Ney, ne put s’empêcher de lui répliquer vertement : « Il s’est mis la corde au cou pour vous servir ! » Et l’empereur changea de sujet.
Ney apprit à son arrivée chez lui que la Chambre des pairs dont il était membre se trouvait convoquée pour le lendemain afin de discuter des mesures à prendre face à la situation. Au lieu de se rendre au ministère de la Guerre comme il en avait d’abord eu l’intention, et puisque cela devenait une affaire de gouvernement, il se rendit à celui de la Police. Il avait toujours été en excellents termes avec Fouché qui lui avait donné quelques judicieux conseils. Celui-ci le reçut sur l’heure. Saisissant la précarité de la situation du maréchal, il lui proposa de lui faire établir non pas un mais plusieurs passeports sous de faux noms. En contrepartie, il lui demanda de lui rendre un service, ce que Ney promit volontiers. Il n’était pas au courant de ce qui se préparait pour la séance du lendemain.
En accord avec Carnot, Masséna et plusieurs autres maréchaux (il avait omis d’en parler à Ney, mais ignorait encore son retour), Davout avait dressé un plan pour l’assemblée. Il ne s’agissait pas de défendre Napoléon, qui était écarté d’emblée, mais de mettre rapidement sur pied une armée. Elle ne serait pas destinée à combattre les alliés, mais à permettre de négocier avec eux en position de force. Le groupe ne manquait ni d’arguments ni de moyens. Le ministre disposait de cent dix-sept mille hommes et de six cents canons en train de se replier sur la Loire. En outre, à l’instruction dans les dépôts, il y avait deux cent mille conscrits dont cent soixante mille de la classe 1815. En plus de ces forces impressionnantes, même si elles étaient de valeur très inégale, Davout pouvait compter sur les deux corps d’armée que Grouchy était en train de ramener intacts en France, avec un talent consommé. C’étaient quarante-cinq mille combattants de plus.
Par ailleurs, il avait appris que l’armée des Alpes aux ordres de Suchet, qui ne comptait qu’une vingtaine de mille hommes, s’était heurtée le 16 juin à Montmélian à soixante mille Autrichiens et les avait mis en déroute. Prenant alors hardiment l’offensive, Suchet avait profondément pénétré en Savoie et marchait sur Genève.
Donc, si la situation était préoccupante, elle n’était pas désespérée. Seulement, pour reprendre les choses en main, il fallait, estimaient Davout et ses amis, établir sur-le-champ une dictature militaire. Dans leur esprit, le sort de Napoléon était réglé. Du reste, celui-ci abdiqua le jour même. Ils n’osaient prononcer le mot de « république », encore que pour certains ce régime se profilait à l’horizon, tandis qu’une partie du groupe envisageait favorablement le retour du roi.
C’est cette manoeuvre que Fouché entendait déjouer à tout prix. Cette négociation, prétendument en position de force, lui paraissait totalement irréaliste. La seule manière de traiter avec les alliés était de les mettre en face du roi. Et c’est précisément le service qu’il demanda à Ney : démonter devant la Chambre des pairs les arguments de Carnot.
Alors que Carnot, en martelant ses termes d’une voix quelque peu soporifique, exposait à sa manière les faits, Ney se leva et, sans même avoir demandé la parole, éclata. En hurlant presque, il balaya l’analyse de l’orateur : « Tout cela est faux ; tout cela est chimérique. On vous trompe de tous les côtés... »
Une fois lancé, il ne s’arrêta plus. D’ailleurs, les pairs et le président étaient trop abasourdis et intéressés pour songer à l’interrompre. En substance, il expliqua qu’il avait été témoin et acteur à Waterloo et savait de quoi il parlait ! Et il cita des chiffres, expliqua que l’armée vaincue et en déroute ne serait pas en état de combattre avant d’être reprise en main, ce qui prendrait des mois, et conclut qu’avant huit jours l’ennemi serait aux portes de Paris.
En vain, Carnot tenta de reprendre son exposé et de rassurer l’assemblée. Le choc des paroles de Ney, que nul ne songeait à contester,
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