Le maréchal Ney
impératif. Dans sa proclamation de Cambrai, datée du 28 juin, Louis XVIII n’avait-il pas annoncé son pardon pour les Français égarés, mais des sanctions contre les « vrais » coupables ! Eglé, pourtant si peu clairvoyante en d’autres circonstances, le sentait et suppliait son mari de s’éloigner. Il lui répondait : « Il vous tarde, madame, d’être débarrassée de moi ! »
De tous ceux qui s’étaient compromis avec Napoléon aux Cent jours, c’était peut-être lui qui risquait le plus. Il se refusait à l’admettre. Les autres, à l’exception de La Bédoyère et de La Valette, s’étaient hâtés de prendre le large. Devant cette obstination un peu puérile, Fouché, qui tenait à le sauver, alla jusqu’à demander à Davout de lui signifier de gagner l’armée de la Loire, en fait de quitter Paris.
Ney hésitait encore. Cependant, on savait Louis XVIII en route pour regagner sa capitale. Malgré son désir de se montrer clément, il ne pourrait s’opposer à des sanctions d’une extrême rigueur. C’était une question de « face » vis-à-vis des souverains alliés. Aussi le 6 juillet, deux jours avant l’arrivée du roi, Ney quitta enfin Paris. Il pensait voyager dans une voiture publique et son entourage eut beaucoup de mal à le convaincre de louer une chaise de poste, vu l’urgence de son départ. Il prit non pas la direction du Havre, comme tout le monde s’y attendait, mais celle de Lyon, avec l’intention avouée de passer en Suisse. Il savait pouvoir y trouver refuge auprès d’amis. Arrivé à Lyon le 9, il rendit visite au commissaire général de police Teste qui, sans le lui interdire, lui déconseilla de tenter de passer en Suisse. Les Autrichiens occupaient, suivant ses dires, tous les postes frontières. Ils étaient d’autant moins complaisants que, battus à deux reprises par Suchet, ils entendaient faire sentir leur force à peu de frais. Or ces renseignements étaient faux. Erreur ou volonté délibérée d’empêcher Ney de quitter la France, on ne sait. En effet, les troupes d’occupation auxquelles Teste faisait allusion étaient soit suisses, donc prêtes à fermer les yeux si elles reconnaissaient le maréchal, soit piémontaises. De plus, si Ney avait réellement voulu franchir la frontière, l’opération était possible par un des nombreux chemins de contrebandiers. Mais il éprouvait une singulière réticence à quitter la France « persuadé que quoi qu’il advînt sa grande renommée militaire le sauverait ». Aussi, lorsque Teste lui suggéra d’aller discrètement passer quelque temps aux eaux de Saint-Alban près de Roanne, en attendant que la situation se clarifie, il sauta sur la proposition, sans même chercher à approfondir les moyens de franchir la frontière. Il pensait séjourner incognito dans cette petite station thermale. Il se trompait : sa silhouette, ses cheveux roux, ses favoris étaient trop bien connus pour qu’il pût se dissimuler longtemps.
La chasse aux « traîtres » à la cause royaliste commençait. Une ordonnance royale fut publiée le 24 juillet, contenant les noms de dix-neuf bonapartistes qui seraient déférés au conseil de guerre ou à la cour d’assises. Ney y figurait en bonne place, ainsi que les généraux Ameil, Drouet d’Erlon, Laborde et le maréchal Grouchy. Trente-huit autres étaient condamnés à l’exil dans les trois jours, dont Soult, Marbot, Carnot et Vandamme. Il est vrai que le roi adoucit les termes en traduisant pour la plupart d’entre eux « exil » par résidence hors de Paris.
Dans ce contexte, un échange de lettres passablement comique eut lieu entre Fouché et Carnot. Ce dernier écrivit à son ancien collègue un mot dans un style grandiloquent, ayant vu son nom sur la liste des proscrits : « Où veux-tu que je me retire, traître ? » Ce à quoi Fouché, qui ne manquait pas d’humour, répondit en lui envoyant un passeport et en retournant à Carnot sa missive au bas de laquelle il avait griffonné : « Où tu voudras, imbécile ! »
De sa retraite, Ney crut que la police était sur ses traces, alors qu’elle mettait tout en oeuvre pour lui permettre de se sauver. Au lieu de chercher à gagner l’étranger, il s’enfonça au coeur de la France. Il se rendit au château de la baronne de Bessonies, cousine d’Eglé, aux confins du Lot et du Cantal, bâtisse ancienne construite en granit, un peu écartée, où il fut bien accueilli (29 juillet).
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