Le maréchal Ney
l’infanterie. Le chemin d’Ohain, sur lequel plusieurs historiens ont abondamment disserté, ne fut pas vraiment un obstacle majeur. En franchissant la crête, les régiments prirent le galop. Cette charge fut immédiatement suivie par une seconde, que Ney mena à nouveau. Il eut trois chevaux tués sous lui et trois carrés d’infanterie anglaise furent enfoncés. Mais en fin de compte, le maréchal dut reculer. Les canons anglais avaient été mis en batterie très en avant de l’infanterie, les servants tirant jusqu’au dernier moment avant de courir se réfugier dans les carrés.
Lorsque la première charge reflua, ils y retournèrent sans conviction, persuadés de trouver leurs pièces enclouées {6} .
Grande fut leur stupéfaction de les découvrir intactes et prêtes à resservir. L’intendance – négligence, lacune ou malveillance délibérée ? -avait oublié de distribuer des clous aux cavaliers. Ney, qui s’était trouvé démonté un moment près d’un canon ennemi, avait constaté le même manque et s’en était étonné. Mais en pleine action, impossible de remédier à la situation.
À ce moment, l’armée anglaise était fortement ébranlée. Revenu en bas de la pente, Ney se prépara à charger pour la troisième fois. Ses pertes étaient sévères, mais lui-même n’avait pas une égratignure. De son côté, Wellington, qui avait vu vers deux heures le corps prussien de Zieten déboucher sur la droite des Français et entrer timidement dans la bataille, était décidé à tenir jusqu’au bout.
À 17 heures, le prince de la Moskowa, excité, tonitruant – le Ney des grands jours – s’élança une fois encore à la tête de tout ce qui lui restait de cavalerie – cuirassiers, carabiniers, lanciers, chasseurs, hussards –, escalada à nouveau le plateau, où il fut accueilli par les tirs de l’artillerie. Elle utilisait une nouvelle munition : l’obus shrapnel, terriblement meurtrier. Mais cette fois, la masse française ne recula pas. Tourbillonnant, sabrant, broyant des files d’hommes sous les sabots des chevaux malgré les murailles de baïonnettes, elle s’acharnait. Et à 18 heures, Ney tout à son action se souvint soudain que les deux divisions d’infanterie intactes des généraux Foy et Bachelu attendaient des ordres, en contrebas, l’arme au pied. De lui-même, Napoléon aurait dû envoyer ces deux unités soutenir le maréchal. Mais il n’en fit rien. Ce fut Ney qui les fit appeler. Elles s’ébranlèrent, enlevèrent au passage la ferme de La Haye-Sainte et parvinrent à la crête. Or ce succès, en soi assez mince, eut une conséquence importante. Il permit à Ney de faire avancer un certain nombre de pièces d’artillerie. Parvenues au bord du plateau, elles purent tirer à vue directe et presque à bout portant sur l’infanterie britannique. Elles écrasèrent le centre anglais qui s’effondra devant la poussée de trois divisions françaises.
L’armée ennemie était coupée en deux. Ce que Ney cherchait depuis le début de l’après-midi se réalisait enfin.
Plusieurs régiments britanniques se débandèrent. Les hussards de Cumberland, colonel en tête, s’enfuirent et coururent jusqu’à Bruxelles où ils crièrent que la bataille était perdue, Wellington tué et l’armée en déroute. Ney sentit la victoire à portée de main et fit demander d’urgence des renforts à Napoléon. Celui-ci cria : « Des troupes, où voulez-vous que j’en prenne ? Voulez-vous que j’en fasse ? »
Au même moment, Wellington répondait à un colonel qui lui demandait du soutien : « Il n’y en a pas. Il faut tenir jusqu’au dernier homme ! »
Or des bataillons, Napoléon en avait encore. Il disposait de la vieille et de la moyenne garde {7} soit une quinzaine d’unités, la jeune garde étant déjà engagée contre les Prussiens. Et c’est précisément pour pouvoir faire face à Blûcher, qu’il sentait venir alors qu’il ne recevait aucune nouvelle de Grouchy, que l’empereur refusait ces troupes à Ney. Il s’obstinait à ne pas vouloir comprendre qu’en se hâtant d’écraser les Anglais, il pourrait ensuite se retourner contre les Prussiens qui n’arrivaient que par petites unités.
Il ne se résolut qu’à sept heures du soir à envoyer à Ney les neuf bataillons de la moyenne garde, mais il était trop tard. Sur sa droite, Bùlow, dont le corps n’avait pas donné à Ligny, entrait en ligne. C’étaient cinquante mille
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