Le maréchal Ney
Ney, qui avait compris la leçon, se cloîtra dans sa chambre, mais, bien qu’on lui ait proposé d’y servir ses repas, demanda tout de même à paraître à table. Or la baronne, si elle acceptait de lui donner l’hospitalité, n’entendait pas pour autant renoncer à sa vie mondaine et continuait à recevoir beaucoup. Le duc d’Elchingen eut beau être présenté aux visiteurs sous le nom de M. d’Escaffre, il ne tarda pas à être reconnu.
Une légende a couru à ce sujet. Il aurait laissé traîner dans le salon du château un sabre magnifique, facilement identifiable, l’un des deux exemplaires ramenés d’Égypte par Bonaparte, l’autre appartenant à Murat. L’histoire est d’autant moins vraisemblable que Ney se cachait habillé en civil et n’avait aucun motif de traîner avec lui cette arme, à supposer que Bonaparte lui en eût véritablement fait cadeau.
Ney fut simplement dénoncé au préfet du Cantal, Locard, par un des invités de la baronne, sans que l’on sache avec précision lequel. En principe, le préfet n’avait pas pouvoir pour agir dans un département voisin, puisque le château était dans le Lot. Mais il voulait faire du zèle afin d’être bien vu du nouveau gouvernement. Il ne s’arrêta pas à ce détail.
Deux officiers de gendarmerie, accompagnés de douze hommes, furent requis pour cette mission. Ils étaient persuadés d’avance que ce serait un fiasco et qu’il n’y avait aucune chance pour que Ney se cachât dans ce château perdu. L’affaire aurait pu tourner de manière différente, car le receveur des postes d’Aurillac, bonapartiste bon teint et grand admirateur du duc d’Elchingen, fut prévenu de la dénonciation. Canterloube – c’était son nom – sauta en selle et galopa pour prévenir le maréchal. Malheureusement, pour être certain d’arriver le premier, il emprunta un raccourci. En sautant un fossé, il fit une chute et se cassa la jambe. D’ailleurs vu les dispositions mentales de Ney, il n’est pas certain que, même averti à temps, il eût fui.
Le 5 août au matin, le détachement se présenta au château. Ce fut Ney en personne qui leur ouvrit. Ils ne le reconnurent pas et quand ils lui demandèrent s’il était là, il se nomma sans hésiter. Ils l’appréhendèrent puis, avec tous les égards dus à son rang – car jusqu’à nouvel avis il était toujours maréchal de France –, le conduisirent à Aurillac. Si diligent qu’il fût, le préfet n’osa pas le loger en prison et l’installa à l’hôtel de ville.
Si certains traits de caractère de Michel Ney l’avaient de tout temps fait traiter d’hurluberlu, son comportement au lendemain de Waterloo fut étrange. On comprend mal qu’il ne soit pas parti. Les refuges ne manquaient pas : les Etats-Unis, la Suède, la Suisse. Mais il apparut comme désemparé. En fait, en dehors de la vie militaire active, il ne connaissait à peu près rien et, loin de l’agitation des armes, il s’ennuyait.
On peut alors penser que son sort lui fut indifférent. Il ne parvenait pas à imaginer une vie d’attente, loin des siens, dans un pays dont il ne parlerait sans doute pas la langue.
C HAPITRE XIV
EN JOUE... FEU !
( AOÛT - DÉCEMBRE 1815)
Lorsque la nouvelle de l’arrestation de Ney parvint au ministère de la Police, Fouché n’eut qu’un souci : transmettre ce dossier à un autre, ne voulant pas « y toucher même avec des pincettes ». Cet autre fut Decazes, depuis peu préfet de police de la capitale, ancien fonctionnaire très ambitieux de l’empire, en passe de devenir favori du roi. Celui-ci, comme Fouché, comprit tout de suite que cette capture présentait bien plus d’inconvénients que d’avantages. Il répondit à Decazes, sans cacher son irritation : « Voilà une maladresse qui nous coûtera cher et je crains bien que cette arrestation ne nous soit plus funeste encore que la défection du maréchal. » Un peu plus tard, à Marmont, il avoua : « On avait tout fait pour favoriser son évasion ! »
Cette attitude clairvoyante était d’autant plus remarquable et courageuse que les ultra-royalistes et la coterie du comte d’Artois déclaraient qu’il fallait en finir avec tous les maréchaux !
Ces outrances avaient provoqué la colère de Louis XVIII, qui demanda à ces têtes folles si elles souhaitaient voir chasser la dynastie.
Le roi se résigna cependant à laisser la justice suivre son cours. Ce fut précisément à cet instant que
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