Le Maréchal Suchet
Waterloo le reçut cordialement et lui conseilla d’aller aux Tuileries, mais c’était sans doute prématuré.
Pour dire vrai, le duc d’Albufera ne voyait pas très clair dans sa situation. Il s’était ouvertement réinstallé dans son hôtel de Paris et savait seulement qu’il ne commandait plus l’armée des Alpes intégrée dans celle de la Loire, mais pour le reste ? Son gouvernement de Strasbourg ? Il l’avait quitté pour commander son armée, mais n’était-il pas implicitement prévu qu’il le récupérerait une fois la paix revenue ? Sur ce point, les documents existants sont contradictoires : certains avancent que, dès le mois d’août, il lui avait été retiré ; mais d’autres soutiennent que l’autorité le lui conserva jusqu’à la fin de décembre. En tous les cas, il est certain qu’il ne se rendit pas à Strasbourg avant la fin de l’année.
Un autre de ses amis, Rambuteau, ancien préfet, lui donna pour avis d’adopter un profil bas et sans pour autant chercher à se faire oublier de faire preuve de patience avant de recommencer à fréquenter les milieux officiels. En d’autres termes, d’attendre que la réaction royaliste perdît de sa virulence.
Toutefois, Suchet agit de manière différente et y trouva la propre justification de sa conduite dans le fait que d’une part les maréchaux qui avaient servi l’usurpateur faisaient l’objet d’une enquête et qu’on vint lui ordonner de déposer comme témoin au procès du maréchal Ney. Devançant donc des démarches officielles, le duc d’Albufera se mit en rapport durant le mois d’octobre avec le ministre de la Guerre qui était de nouveau son vieil ami Clarke. Il lui rapporta en détail tout ce qu’il avait réussi à arracher aux Autrichiens comme matériel militaire : fournitures, fusils et artillerie qu’il avait pris soin d’expédier à Clermont-Ferrand, Montpellier et même La Rochelle dans le but de permettre de participer au réarmement de l’armée royale. Clarke fut donc le premier personnage officiel avec qui, pour des motifs de service, il entra en relation.
Lorsque fut créée en ce même mois d’octobre la fameuse commission chargée d’examiner la conduite des officiers ayant servi l’usurpateur, Suchet comprit qu’il aurait à répondre de la sienne. Cette commission se trouvait composée de cinq membres, dont trois au moins devaient lui être plutôt favorables : le maréchal Victor qui la présidait, Lauriston, Bordessoulle qui certes avait émigré à Gand mais qui gardait l’esprit de camaraderie. En revanche, les deux derniers, Broglie, ancien général de l’armée de Condé et de Querelles, ancien chouan, lui étaient, par principe, hostiles. Mais, surtout, cette espèce de tribunal, après les avoir questionnés, devait classer les officiers en dix-neuf catégories définies par Clarke et, suivant les cas, les intéressés bénéficiaient ou non de « l’indulgence du roi » et pourraient être, le cas échéant, rappelés ou non au service.
Or, ayant commandé une armée en opérations, Suchet voyait dès le départ ses chances compromises de se voir réintégré au service actif. Il se défendit pied à pied aussi bien verbalement que par écrit. Ses détracteurs étaient des royalistes et quelques prêtres vivant dans la région où ses troupes avaient combattu. Ceux-ci l’accusaient sans aucune preuve à l’appui des pires méfaits, en particulier d’avoir joué un rôle actif dans le retour de l’ogre de Corse. Le maréchal rappela qu’au moment du débarquement en France de Napoléon il était à Paris appelé en consultation par le roi et qu’en accord avec son ministre qui était précisément Clarke il était retourné à Strasbourg pour y mettre sa division en état de résister à cette invasion. Il précisait que l’état d’esprit de ses troupes était tel (tout le monde le savait) qu’il s’était trouvé dans l’impossibilité d’envoyer des renforts pour barrer la route à l’usurpateur et qu’il en avait avisé Paris par le télégraphe.
De plus, il était resté fidèle au roi jusqu’au moment où il avait reçu l’avis de son camarade Macdonald, l’informant qu’avant de quitter la France le roi les dégageait lui et ses camarades de leurs serments et obligations. Certes, un membre de la commission essaya de lui opposer l’ordonnance signée par Louis XVIII avant de quitter Lille qui interdisait de servir d’une manière
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