Le Maréchal Suchet
prête à intervenir en faveur des personnes qui se montraient « compréhensives ». Engageant la conversation, après avoir parlé de banalités, Louis-Gabriel lui annonça qu’il avait commandé pour elle, à Florence, un très beau collier et que son frère était chargé de s’enquérir régulièrement quand il serait terminé. Ayant ainsi piqué la curiosité de madame Bonaparte, il la pria d’intercéder précisément en faveur de ce frère qui aspirait à entrer dans l’administration. Et Joséphine l’assura de son soutien.
Avant de quitter Paris, Suchet avait rédigé un questionnaire qu’il avait fait imprimer. Puis, il l’avait fait envoyer à tous les chefs de corps qu’il devait inspecter. Il expliquait qu’en le remplissant par avance les destinataires lui feraient gagner du temps et permettraient d’examiner plus à fond les nombreux problèmes. La méthode était nouvelle. Si elle fut accueillie avec intérêt par les généraux et colonels qui reçurent le document, elle fut plus fraîchement acceptée dans les bureaux du ministère de la Guerre peu portés à l’innovation et à sortir de la routine. Suchet ne tarda pas à passer auprès de ces commis pour un trouble-fête.
Après le retour de Bonaparte à Paris, Suchet demeura plusieurs jours à Lyon afin de donner aux différents chefs de corps le temps de remplir le fameux questionnaire. En cette année 1802, la France traversait une mini-crise économique que Bonaparte allait bientôt juguler ; mais un net ralentissement dans le commerce de la soie confirma Suchet dans son idée qu’il avait bien fait de rester dans l’armée.
Puisqu’il était à Lyon, il commença par inspecter la garnison qui était essentiellement constituée par des demi-brigades rapatriées d’Égypte. Suchet, qui ne négligeait aucun détail, fut frappé par le dénuement extrême des hommes ainsi que par leur état de santé précaire et également par la vétusté et la fatigue du matériel. Ainsi les fusils étaient souvent d’origine et de calibre différents, ce qui n’était pas sans poser quelques problèmes pour le ravitaillement en munitions. Mais, surtout, il constata que les services auxiliaires d’intendance et de santé étaient au-dessous de tout. Il n’avait pas été sans le remarquer en Italie, mais en France, avec la paix revenue, les choses ne s’étaient pas améliorées. Aussi, avant même son départ de Lyon, écrivit-il directement au Premier consul pour lui dépeindre la situation et réclamer d’urgence des réformes.
Bonaparte, fort mécontent, répercuta, commentaires à l’appui, la lettre chez Berthier qui promit d’agir mais qui, dans le moment, garda une sérieuse rancune contre Suchet.
Au début de février, malgré l’état des routes rendues difficiles par les intempéries, Suchet gagna le Midi. Il fut horrifié à Montpellier par l’état de délabrement et d’insalubrité des casernements et le laisser-aller qui en résultait. De là, poursuivant son voyage, il rejoignit en plusieurs étapes Toulouse puis, revenant sur ses pas, passa par Rodez, Nîmes, Le Puy, redescendit à Avignon où il constata que le palais des Papes avait été converti en caserne au détriment des œuvres d’art peintes sur les murs et recouvertes d’une épaisse couche de chaux. On ne les redécouvrira que vers 1930, grâce aux travaux d’un conservateur éclairé, le docteur Colomb. Les locaux ainsi transformés n’étaient même pas pratiques à utiliser et c’est un vieux fond d’anticléricalisme qui avait inspiré ce changement.
Achevant cette première tournée, Suchet rentra à Paris le 7 juin 1802. À présent secondé par une petite équipe qu’il avait lui-même constituée, il devait dépouiller les fameux questionnaires, répondre à un abondant courrier et rédiger le rapport général relatif à cette tournée d’inspection qui avait duré cinq mois. Les conclusions qu’il exposa rendaient écrasantes les responsabilités de l’intendance où l’incompétence le disputait à la prévarication quand elles ne se conjuguaient pas.
Le service de santé n’était pas mieux traité puisque Suchet allait jusqu’à préconiser la suppression des hôpitaux militaires et de confier la santé de l’armée aux services civils souvent du reste entre les mains du clergé.
Bonaparte n’était pas sans être au courant de ces faiblesses. Il pressa une nouvelle fois Berthier de remédier à la situation dans la
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