Le Maréchal Suchet
Suchet, lucide comme beaucoup d’autres, savait que la politique du Premier consul y avait une large part de responsabilité.
Au cours de ce voyage, l’inspecteur général, notant toujours de nombreuses lacunes dans les équipements et également une trop grande dispersion des unités sur le terrain qui nuisait à leur préparation, faute de manœuvres d’ensemble, fut frappé par l’état d’esprit de la population en Bretagne. Le gouvernement et le Premier consul y étaient franchement impopulaires dans toutes les classes de la société, sauf dans l’armée. Les désertions et les refus d’incorporation y étaient plus nombreux qu’ailleurs. De plus, les réseaux d’espionnage anglais paraissaient actifs avec une infrastructure solide. Les petites unités de la flotte britannique qui surveillaient déjà les côtes semblaient entretenir d’excellentes relations avec les pêcheurs à qui ils achetaient du poisson à prix d’or et qui, volontairement ou non, leur procuraient une foule de renseignements sur l’état de préparation de notre propre marine. Aussi le rapport de Suchet, à la fin de sa tournée, eut-il un caractère assez pessimiste qui desservit une fois de plus son auteur.
Il se terminait en demandant un commandement actif pour le cas où des opérations incluant l’armée de terre seraient programmées, mais sur le moment sa demande resta sans suites. Cependant, pour répondre à la déclaration de guerre de la Grande-Bretagne, Bonaparte avait ordonné le rassemblement d’une armée d’un peu moins de cent mille hommes, échelonnée dans un premier temps entre Amiens et Arras dans le but de se préparer (toujours un de ses vieux rêves) à effectuer une descente en Angleterre, partant du principe qu’une fois débarquée une armée française serait invincible et conquerrait le pays.
Il n’avait pas la moindre idée des problèmes posés par une telle opération et en fait dans l’état-major français personne ne réalisait les difficultés qu’elle pourrait entraîner. En octobre, Suchet fut informé qu’il était nommé à la tête de la 4 e division d’infanterie positionnée dans la région improprement appelée « camp de Boulogne ». La pilule était amère d’autant plus que le corps auquel était rattachée la division (et qui deviendrait le 4 e de la Grande Armée) était commandé par Soult ! Or, Soult avait été son égal pendant le siège de Gênes et son ancienneté dans le grade de général de division n’était que de trois mois. De plus, depuis Gênes, ils n’étaient pas dans les meilleurs termes. Cette semi-disgrâce, conséquence probable des fameux rapports de Suchet, est vraisemblablement due à Berthier qui avait eu quelque peine à les admettre. Mais il est à noter que, de son côté, Bonaparte, à qui toutes les affectations de généraux étaient soumises, ne s’opposa pas à cette sorte de rétrogradation.
Soult n’allait faire preuve d’aucune cordialité avec son ancien camarade devenu son subordonné, bien au contraire, et leurs rapports n’allaient pas tarder à s’aigrir au point que l’un et l’autre demandèrent la mutation de Suchet et qu’au moment où la division quitta le camp de Boulogne, à l’automne 1805, elle fut rattachée au corps de Lannes avec qui Suchet entretenait d’excellents rapports. Cette inimitié entre Suchet et Soult, qui perdura, eut des conséquences funestes, bien des années plus tard, en 1813 et en 1814, au moment de la campagne de France.
Mais, en attendant, en 1805, il resterait sous les ordres de Soult. Il avait d’ailleurs, dès sa nomination, écrit à Joseph Bonaparte dont il était devenu l’ami en lui demandant d’intervenir en sa faveur pour lui obtenir un poste plus important. Mais, à ce moment, Joseph était un peu en froid avec son cadet. Son château de Mortefontaine servait de rendez-vous à tous les beaux esprits qui faisaient plus ou moins ouvertement de l’opposition au Consulat. Et puis, son influence était nulle pour les questions militaires. Il essaya bien d’intervenir en faveur de Suchet, mais ce fut en vain.
Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, Louis-Gabriel alla prendre son commandement en novembre 1803. Sa division comprenait deux brigades et cinq régiments d’infanterie plus un régiment de cavalerie et son artillerie divisionnaire. Comme il s’y attendait, elle manquait de beaucoup d’équipements. Cantonnée autour du petit port de Wimereux, elle
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