Le mariage de la licorne
avait dit Aedan en jetant un coup d’œil nostalgique à leur unique chèvre. Nous pourrons apprendre à fabriquer de somptueux fromages.
Lionel, mine de rien, avait retenu l’idée.
Le mois de mai aimait plaisanter. Il se moqua de l’hiver encore tout proche dans les mémoires en faisant floconner des églantiers que Louis n’avait jamais remarqués et, dans le verger, il fit la fortune de Jehanne en jonchant l’herbe émeraude de piécettes jaunes. Sam recueillait chaque jour de ces précieux boutons-d’or pour les lui offrir en secret. Et Louis aima à se promener sous l’écume des pommiers noueux. Des papillons blancs et jaunes, intrigués eût-on dit par le noir détonnant qu’il portait, s’amusaient à voleter autour de sa personne. À cause de son âpreté naturelle, il était difficile de se douter qu’il se sentait, selon ses propres dires, « satisfait ». C’était pour lui ce qui se rapprochait le plus du bonheur.
Dès que le travail de la ferme lui accorda un répit, au début de l’été, Louis entreprit d’importantes rénovations. Il fit adjoindre un auvent pour le bois à l’appentis, et le toit de la maison se couvrit d’une cuirasse écaillée faite d’ardoises. Le chaume fut relégué aux dépendances. Le moulin devint entièrement fonctionnel et le métayer commença à enseigner ce qu’il savait de la meunerie à Hubert, tout en s’efforçant de ne pas trop rappeler à lui le douloureux souvenir des Bonnefoy. Le projet de four à pain fut amorcé par l’acquisition de bonnes briques, un achat que Lionel qualifia de dépense excessive, d’autant plus que tout le monde allait nu-pieds afin de ménager des chaussures passablement usées. Mais Louis avait été catégorique à ce sujet et avait rétorqué : « C’est l’été. Mettez des sabots si vous tenez tant que ça à être chaussés. » Il fallut donc se rendre à l’évidence que le four était quelque chose d’indispensable à ses yeux et que la sole en pierre ne suffisait plus.
À la fin de juin, pourtant, Louis ne s’était toujours pas occupé de son tas de briques. Il s’était trouvé autre chose de plus urgent à faire.
Les enfants, dont on laissait la jeunesse s’ébrouer à plaisir, furent les premiers à avoir connaissance de sa découverte. Ils l’avaient suivi dans la forêt, un après-midi, jusqu’à la clairière où il s’était arrêté. Sa grande silhouette sombre avait une apparence vaguement inquiétante parmi un rassemblement de petits feuillages qui poussaient très serré et lui frôlaient le bas des jambes. Il s’était accroupi et mâchait quelque chose.
— Des fraises ! s’était exclamé Sam.
Louis s’était retourné dans sa direction, le menton barbouillé d’un jus rouge qui ressemblait à du sang. Les jours suivants furent donc consacrés à la cueillette, à la mise en conserve dans du vin de Bordeaux et au séchage des petites baies en forme de cœur.
Ensuite, d’autres baies sauvages mûrirent et furent récoltées par les enfants, que Louis avait mis à contribution malgré les ronchonnements de Sam.
Sans attendre la permission de quelque garde forestier qui, de toute façon, ne devait plus être là, Louis avait fait de la forêt un magasin où il allait prélever de jeunes arbres fruitiers pour enrichir son verger à demi sauvage, des poiriers, des pruniers, des noyers et des cerisiers. Les lapins de garenne qui n’avaient pas été consommés furent installés dans un clapier tout neuf que l’on adossa au poulailler. La basse-cour devint un peu plus variée, et Toinot se porta volontaire pour s’occuper, à la lisière qui bordait le verger, de plusieurs colonies de mouches à miel. La saison qui avançait en âge et en sagesse devenait de plus en plus prodigue en fruits sauvages : poires, pommes, prunelles, cornouilles, framboises, mûres, myrtilles, cenelles emplirent le garde-manger de Blandine. La jeune femme avait pris Louis en affection dès l’instant où il s’était mis à bêcher l’emplacement d’un nouveau potager, ce qui ne l’avait pas empêchée de ramener de la forêt quantité de légumes sauvages ainsi que des cèpes, des girolles, des morilles moins populaires, en plus des grenouilles et des escargots. Plus tard viendraient s’ajouter faines*, noisettes et noix pour l’huile, ainsi que des châtaignes et des glands pour la farine. Louis avait même songé à démarrer une petite pharmacie qu’il approvisionnait en
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